Selon une étude de la Banque nationale belge, une taxe carbone qui prévoit une redistribution des recettes aux ménages et/ou entreprises permettrait une hausse du PIB et une baisse des prix. Voilà qui éclaire le débat sous un autre jour.
La tarification du carbone, c’est un peu l’Arlésienne des politiques climatiques. On en parle depuis des années, sans qu’elle ne soit mise en place à un niveau suffisant pour avoir des effets significatifs sur les émissions de carbone.
Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), utilisées par nos industries et nos moyens de transport et fortement émettrices de gaz à effet de serre, devraient pourtant contribuer aux efforts nationaux et internationaux pour accélérer la transition vers un système Zéro carbone.
Il est vrai que les résistances sont nombreuses et les contre-arguments ne manquent pas : baisse de compétitivité des entreprises, perte d’emplois, augmentation des inégalités sociales, appel à mettre en place une telle tarification au niveau international, …
Ces contre-arguments, on les a entendus encore récemment au niveau belge, lorsque la Ministre fédérale du Climat et du Développement durable Zakia Khattabi, a remis sur la table fin 2020 l’idée d’instaurer une tarification carbone en Belgique.
Ces contre-arguments sont à première vue assez intuitifs et peuvent difficilement être ignorés. Et les gilets jaunes seront toujours là pour nous rappeler qu’une taxe injuste peut provoquer une colère sociale de grande ampleur (lire notre article « Gilets jaunes » et climat, même combat ? ).
Mais la vérité n’est peut-être pas aussi proche de nos intuitions. En effet, une étude publiée en décembre 2020 vient mettre à mal une bonne partie de ces contre-arguments. Cette étude n’a pas été menée par une ONG environnementale, mais bien par la Banque nationale belge, qui n’est pas réputée pour ces positions pro-environnementales.
Cette étude dresse plusieurs constats qui se basent sur des expériences étrangères de mise en place d’une telle tarification carbone, dans des pays comme la Suède, le Royaume, l’Irlande, les Etats-Unis, …
Qu’est-ce que la tarification carbone ?
Avant de présenter plus détails ces résultats, précisons d’abord de quoi on parle.
Nous employons volontairement le terme « tarification » et non « taxe » ? En effet, appliquer un tarif à l’émission de carbone peut être réalisé de deux manières :
- Directement, via une taxe dont le montant, fixe ou variable, est décidé par les pouvoirs publics. C’est l’option mise en place dans plusieurs pays à travers le monde
- Indirectement, via un système de quotas d’émissions. Les entreprises qui dépassent leur quota doivent acheter un permis d’émettre du carbone. Les acteurs dont les émissions sont inférieures au quota fixé revendent à ceux dont les émissions sont supérieures à ce quota. Le prix d’achat est fixé par le marché. C’est le système mis en place au niveau de l’Union européenne, appelé ETS (Emission Trading System), et qui s’applique à certains secteurs économiques (sidérurgie, cimenterie, aviation intra-européenne, …).
Qu’est ce qui est en place en Belgique ?
En vertu du système ETS, seules certaines grandes entreprises belges sont soumises à une tarification carbone. L’idée émise par la Ministre Khattabi est de soumettre les autres émetteurs de carbone (entreprises, ménages, administrations, écoles, …) à une tarification directe, via une taxe.
Quel serait l’impact d’une telle taxe sur l’économie belge ?
Pour répondre à cette question, revenons aux résultats de l’étude de la Banque nationale qui a imaginé plusieurs scénarios à ce sujet. Ces derniers varient selon que la taxe touche uniquement les entreprises, les ménages ou les deux, mais aussi selon que les recettes de la taxe sont redistribuées ou non à l’ensemble des ménages et/ou aux entreprises, par exemple sous formes de réduction d’impôts ou de soutien aux ménages et aux entreprises qui investissent dans la transition énergétique (lire notre article La taxe carbone belge sera-t-elle juste ?). Enfin, un dernier scénario modélise une taxe mise en place au niveau européen, sans redistribution.
Tous ces scénarios ont néanmoins une constante : une taxe carbone de 50 euros/tonne, qui augmente de 4% par an (montant recommandé par l’économiste français Christian Gollier de la Toulouse School of Economics). L’étude analyse cet impact sur une échelle de 5 ans après la mise en place de la taxe.
Deux principaux constats ressortent de la modélisation de ces différents scénarios :
- Contrairement à ce que l’on pourrait croire a priori, une taxe décidée au niveau européen ne minimise en rien les impacts macroéconomiques négatifs d’une taxe carbone, que du contraire. Un tel scénario minimise certes la perte de compétitivité des entreprises belges vis-à-vis des pays voisins, mais il entraine une perte de compétitivité des entreprises européennes en général vis-à-vis du reste du monde. Perte qui se combine avec une baisse de la demande intra-européenne, due à l’augmentation des prix gonflés par la taxe. Ce qui affectera les exportations belges. En termes chiffrés, une taxe au niveau européen entrainerait, en Belgique, une inflation des prix de 1.3%, une baisse de 1.4% du PIB et la perte de 63.000 emplois.
- En revanche, la mise en place d’une taxe carbone au niveau belge, accompagnée d’une redistribution de ses recettes, diminue fortement ses impacts macroéconomiques négatifs. En effet, un tel scénario entrainerait la perte de 19.000 emplois (contre 54.000 sans redistribution) et causerait même une augmentation du PIB de 0.1% et une baisse des prix de 1.9%. En revanche, sans redistribution, le PIB baisserait de 1% et les prix augmenteraient de 1.6%.
Quel serait l’impact d’une telle tarification sur les émissions ?
Cette question, tout aussi importante que la précédente, est également abordée par l’étude qui reprend les conclusions de plusieurs autres études, tout en précisant qu’il est difficile d’isoler à 100% l’effet d’une telle taxe sur l’évolution des émissions carbones. On y apprend par exemple que la taxe carbone en vigueur au Royaume-Unis depuis 2013, en complément du système ETS, en vue d’atteindre un prix plancher fixé par le Gouvernement pour les producteurs d’électricité, a fait chuter leur consommation de charbon de 78% entre 2013 et 2018.
L’étude mentionne également le fait que différents exemples de taxes carbone sur la consommation de pétrole entrainent une baisse de la demande deux à quatre fois plus importante qu’une augmentation des prix liée au prix fixé par le marché. En effet, les consommateurs s’attendent à ce que ce prix fluctue bien plus régulièrement que le montant de la taxe.
D’autres exemples cités dans l’étude vont dans le même sens : une taxe carbone semble avoir un effet plus ou moins significatif, à la fois sur la demande d’énergie fossile et les émissions de carbones. Elle et constitue ainsi un outil efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La Banque nationale belge n’est pas la première à abonder dans ce sens. D’autres acteurs tels que le FMI, la Banque mondiale ou encore l’OCDE, sans parler des nombreuses ONG environnementales, plaident également pour cette fiscalité climatique. Un certain consensus semble donc se dégager au niveau international sur l’efficacité d’une telle taxe pour lutter contre le réchauffement climatique.
Il s’agit même d’une réelle opportunité dans un contexte où les prix des énergies fossiles sont bas, à la suite des confinements successifs, même s’ils ont tendance à remonter ces dernières semaines (lire notre article La chute du prix des énergies fossiles : menace ou opportunité pour une relance « verte » de l’économie ?).
Vers une taxe belge ?
En conclusion, les résultats de cette étude sont assez clairs et offre de solides arguments pour plaider en faveur de la mise en place d’une telle taxe au niveau belge, même s’il est vrai qu’il ne s’agit que d’une étude parmi d’autres et qui, comme toute démarche de ce genre, a ses limites en termes méthodologiques. Néanmoins, le fait qu’elle ait été menée par un acteur tel que la Banque nationale et vient rejoindre le point de vue d’autre acteurs internationaux, en montrent tout l’intérêt.
Une telle taxe n’est pas prévue dans l’accord du Gouvernement fédéral, ce qui d’un point de vue politique ne facilitera pas sa mise en place. Néanmoins, la multiplication des études allant dans le même sens finira peut-être par convaincre l’ensemble des partenaires du Gouvernement à mettre en place cet outil fiscal et climatique.