Pour réussir, la transition énergétique ne peut se limiter à une approche technologique. Elle devra d’abord être sociale et porter de nouveaux modèles économiques et démocratiques. A cette fin, les communes wallonnes devraient intégrer la transition culturelle dans leurs stratégies climat.
Du mythe de la croissance verte au récit de l’effondrement
La manière dont une commune ou un groupe de communes aborde la transition énergétique dépend énormément du prisme de lecture des enjeux auxquels leur territoire devra faire face dans les prochaines décennies.
Le prisme actuellement dominant est celui d’une révolution industrielle verte. Il est basé sur la croyance en notre capacité de maintenir à flots notre système économique et financier basé sur la croissance tout en rencontrant des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il en résulte une vision principalement technologique de la transition. Les stratégies qui en découlent se concentrent presque uniquement sur l’amélioration de l’efficacité énergétique (des bâtiments, des procédés industriels, des véhicules, etc.) et le développement des énergies renouvelables. Le principal argument utilisé pour promotionner ces stratégies est celui du développement économique du territoire à travers la création d’emplois verts, la diversification des activités et la réduction de la facture énergétique des acteurs locaux.
Pourtant, cela fait plus de quarante ans qu’il est scientifiquement démontré que cette vision n’est pas tenable dans un monde fini et nous mènera inévitablement dans le mur. Une des études les plus robustes en la matière est certainement celle réalisée en 1972 par une équipe de chercheurs de l’Institut de technologie du Massachusetts à la demande du Club de Rome et intitulée Les limites à la croissance (dans un monde fini). Le modèle World 3 qu’ils ont développé – et réactualisé en 2012 – permet une simulation informatique des interactions entre population, croissance industrielle, production de nourriture et limites des écosystèmes terrestres.
Le graphique ci-dessous montre une corrélation entre les tendances prédites en 1972 par les chercheurs et les évolutions réelles observées jusqu’en 2000. Et si les tendances futures se confirment également, nous devrions vivre dans les prochaines décennies une décroissance forcée, ce que d’aucuns appellent un effondrement.
Le modèle World 3 – Scénario de type “business as usual”.
Des voix de plus en plus nombreuses estiment même que l’effondrement de notre société thermo-industrielle est déjà en marche. Et par effondrement, elles entendent : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, soins de santé, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi » (définition de Yves Cochet dans cet article).
L’actualité de ces dernières semaines (manifestations pour le Climat, gilets jaunes, etc.) montre qu’une prise de conscience citoyenne massive de ces enjeux est maintenant en marche, malgré un discours politique n’en faisant que trop rarement état (lire notre article Gilets jaunes et climat, même combat ?).
D’une société industrielle centralisée à des territoires résilients
Il semble dès lors vital d’aborder la transition énergétique sous l’angle de la capacité de notre société à se relever des chocs économiques et environnementaux auxquels elle sera inévitablement confrontée, sans sous-estimer l’importance d’un système démocratique fort et dynamique face ces bouleversements. En d’autres termes, il s’agit de se préparer au mieux et de manière collective à la fin progressive, voire abrupte, du système économique thermo-industriel centralisé actuel en tentant de créer des communautés (communes, villages, bassins de vie) décentralisées et résilientes. Cette vision conforte encore le rôle majeur des communes.
L’indispensable remise en question culturelle
Les prochaines décennies seront donc marquées par une modification profonde de nos modes de vie, qu’elle soit planifiée ou subie : accès aux transports drastiquement réduit, alimentation basée essentiellement sur la production locale intensive en main d’œuvre, perte probable de confort matériel et consommation d’énergie au gré de la production renouvelable disponible, migrations de populations, adaptation aux impacts du changement climatiques en matière par exemple d’érosion des sols, d’augmentation de la fréquence et de l’intensité des intempéries, ou de santé publique, etc.
Pour relever ces défis et échapper au creusement des inégalités, à la montée des populismes, à la perte de cohésion sociale et à la violence, une révolution culturelle collective s’avère indispensable. C’est-à-dire une remise en question de nos valeurs et de nos normes qui nous permette de trouver durablement notre place dans ce monde en mutation.
Dans le monde de demain, les citoyens devront produire une alimentation locale intensive en main d’œuvre.
Un travail culturel au cœur des stratégies territoriales
Ces enjeux immenses préoccupent déjà nombre de citoyens et nous concerneront inévitablement tous dans les prochaines années.
Ce n’est qu’en plaçant cette réflexion au cœur de leur stratégie que les communes engagées pour le climat pourront réellement espérer rencontrer ces enjeux (lire nos articles Plus de 200 communes wallonnes en transition énergétique et Energie-Climat : 80 communes wallonnes passent à l’action).
En effet, c’est en travaillant sur ces thèmes que sera possible la construction démocratique de nouveaux modèles économiques locaux visant la transition écologique et technologique en favorisant l’inclusion sociale et la lutte contre les inégalités. En matière d’énergie, citons par exemples : les coopératives, les partenariats public-privé-citoyens, les dynamiques de remunicipalisation, …
Sur ces sujets, lire nos articles Territoires : L’engagement local des coopératives citoyennes et Quand les villes et communes (re)créent des services publics pour une transition énergétique solidaire.
Plus largement, de nombreuses initiatives locales participent à la transition : monnaies locales, systèmes d’échanges locaux, repair cafés, potagers collectifs, ressourceries, etc.
Autrement dit, la transition écologique n’a de chance d’être vécue de manière pacifique que si elle est accompagnée d’une transition sociale et économique à travers de nouveaux processus démocratiques participatifs et inclusifs. Et tout cela ne peut se faire sans la construction d’un nouveau socle de valeurs et normes communes.
Articulation et interconnexion des enjeux locaux de la transition. Source : APERe.
Des ressources locales à mobiliser
Pour ce faire, les communes disposent de nombreuses ressources qu’il s’agit de fédérer. On pense aux centres culturels, aux écoles, aux mouvements de jeunesse, aux syndicats, aux organisations d’éducation populaire, aux initiatives citoyennes de transition, etc. Tous ont une expertise en la matière, un réseau et des ressources à même de mettre en place et animer une conscientisation massive et un débat collectif.
Que ce soit à travers l’organisation de projections de documentaires ou de conférences suivies de débats, la programmation des centres culturels, le lancement d’appels à projets artistiques, ou le soutien à bien d’autres initiatives imaginables, il s’agit d’alimenter l’imaginaire collectif de nouveaux récits questionnant par exemple la place de l’homme dans son écosystème, les notions de rivalité, de compétition, d’entraide et de solidarité, les perceptions du bonheur et de la qualité de vie, etc.
On pourrait résumer ce travail de la manière suivante : « Imaginons les futurs qui nous semblent souhaitables. Faisons ce que nous pouvons pour y tendre et empruntons le chemin de manière solidaire… ».