Avec l’intégration croissante des énergies renouvelables dans le réseau électrique belge, les coopératives de leur production réfléchissent au stockage de cette énergie en cas de surabondance.
Plusieurs types de stockage existent en Belgique : parcs de batteries stationnaires, production de molécules, condensateurs, volants d’inertie et hydroélectricité. Chacun avec des caractéristiques spécifiques pour le réseau. Mais savez-vous ce qu’est une STEP ?
Renouvelle a récemment visité la centrale hydroélectrique de Revin d’EDF (Ardennes françaises). Avec 48 ans de fonctionnement, c’est la plus ancienne station de transfert d’énergie par pompage (STEP) de France. Rénovée en 2019, elle repart pour 40 années de services. En Belgique, le barrage de Coo, son homologue, célèbre ses 54 ans.
Mais comment fonctionne une STEP ? Quel est son rôle dans le réseau électrique ? Explications à partir de l’exemple de Revin.
C’est quoi une STEP ?
Les STEP se divisent en deux catégories : les pures et les mixtes. Les STEP pures utilisent un circuit fermé avec deux bassins d’eau en amont et en aval, tandis que les STEP mixtes fonctionnent en circuit ouvert, soit en bénéficiant d’un cours d’eau naturel, soit en alimentant un cours d’eau en aval (comme le barrage de l’Eau d’Heure).
Celle de Revin est de type « pure », avec un bassin supérieur artificiel de 8,5 millions de m³ d’eau, dont 7 millions de m³ sont utilisables pour la turbine. Un second bassin, de 9 millions de m³, se trouve à 230 mètres en contrebas. Entre ceux-ci se trouve la centrale de pompage-turbinage exploitée par EDF, équipée de turbines-pompes et d’alternateurs. Une conduite forcée de 2500 mètres achemine l’eau vers les turbines, convertissant son énergie cinétique en énergie mécanique.
Le fonctionnement d’une STEP
Comment ça marche ? La centrale pompe de l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur (phase de pompage), et relâche ensuite celle-ci dans le bassin inférieur pour produire de l’électricité (phase de turbinage). On récupère l’énergie potentielle contenue dans le bassin amont, c’est-à-dire la masse d’eau stationnaire qui aura été au préalable pompé dans celui-ci.
Le pompage débute lorsque l’électricité échangée sur les marchés est abondante et bon marché (principalement la nuit). La centrale passe en mode pompage grâce au lancement d’une ou plusieurs turbines par un groupe moteur « poney » situé au-dessus de l’alternateur (voir image ci-dessous), permettant à la turbine d’atteindre la bonne vitesse de fonctionnement (3000 tr/min). Ces pompes sont systématiquement situées au niveau du bassin inférieur dans des galeries techniques. Le débit d’une seule turbine peut atteindre 75 m³/s durant cette phase.
Le turbinage (production électrique) intervient lorsque la demande sur le réseau augmente (prix de l’électricité échangée plus élevés), les turbines sont à nouveau activées mais dans le sens inverse, grâce à la pression de l’eau dans les conduites forcées, faisant tourner l’alternateur pour la production. À ce moment-là, le débit peut atteindre 100 m³ par seconde par turbine.
Quotidiennement, il peut y avoir entre 10 et 15 cycles de pompage-turbinage pour équilibrer l’offre et la demande d’électricité.
Par an, la centrale de Revin produit jusqu’à 1 TWh d’énergie électrique, mais elle en consomme davantage car le rendement du stockage n’est jamais parfait (en moyenne 80%). Si ce type de centrale n’était pas utilisé, le gestionnaire du réseau devrait contraindre les parcs éoliens à diminuer leur production, entraînant ainsi un gaspillage d’énergie.
Si toutes les turbines sont sollicitées en même temps, la centrale peut atteindre une puissance de 800 MW en seulement 2 minutes, et cela pendant 5 heures et 45 minutes avec l’ensemble du volume utilisable turbiné. Il faudra ensuite 7 heures et 30 minutes pour repomper ce même volume en amont.
Le rôle des STEP sur le réseau électrique
Les STEP jouent un rôle crucial dans la stabilité des réseaux électriques français et belges. Elles stockent l’excédent de production des centrales nucléaires pendant les heures creuses et répondent aux pics de demande pendant les heures pleines. Pour des raisons techniques et économiques, il est préférable, pour certains types de centrales thermiques fonctionnant en base (comme les centrales nucléaires ou à gaz), d’éviter les arrêts et redémarrages intempestifs liés aux fluctuations de la demande. Cela permet d’améliorer la durée de vie des systèmes tout en évitant les mauvais rendements et, par conséquent, les surcoûts d’exploitation.
La centrale de Revin, troisième plus grande STEP de France, est stratégiquement située près de la centrale nucléaire de Chooz et est connectée aux autres centrales du nord du pays. Pour équilibrer le réseau et éviter les pannes, le gestionnaire de réseau de transport (RTE en France, ELIA en Belgique) prédit la consommation d’énergie et envoie aux opérateurs des STEP un planning de fonctionnement 36 heures à l’avance. Ainsi, les STEP produisent ou consomment en fonction des besoins du réseau. Ces centrales participent souvent à des mécanismes de rémunération supplémentaires au-delà du simple marché spot. Elles offrent des capacités pouvant être mobilisées à tout moment pour répondre aux besoins du réseau et sont rémunérées pour ce service rendu.
Les STEP sont des alliées cruciales pour les réseaux électriques, de plus en plus alimentés par les énergies renouvelables. Elles offrent une réponse efficace, ainsi qu’une puissance élevée. Elles régulent également les cours d’eau et servent de source de secours en cas de panne majeure du réseau européen (black-out), grâce à des procédures de rétablissement de la tension, telles que la reconstruction « Bottom-up ». Les STEP doivent donc conserver en permanence une réserve d’énergie en cas de besoin du réseau, par exemple en cas d’arrêt imprévu de plusieurs réacteurs nucléaires. C’est d’ailleurs l’un des rôles principaux de Coo en Belgique.
Le stockage hydroélectrique en Belgique
L’AIE a souligné dans son rapport de 2023 que les STEP hydrauliques représentent 99% du stockage d’électricité mondial, étant la forme la moins coûteuse à développer. Cependant, leur réplicabilité est limitée dans les pays ayant déjà exploité la plupart des vallées et des collines disponibles. Les STEP sont considérées comme ayant un faible impact climatique en termes d’émissions de CO2 équivalent par kWh stocké, mais un projet apporte bien souvent d’autres impacts (déplacement de population, déforestation, décomposition des végétaux en méthane).
En Belgique, les STEP en service totalisent une puissance de 1 224 MW, avec 1 080 MW à Coo et 144 MW au barrage de la Plate Taille, offrant une réserve de production de 5 913 MWh.
Celle de Coo la plus célèbre, mise en service dans les années 70 parallèlement au développement du parc nucléaire Belge, peut être activée en 2min pour offrir plusieurs heures de productions.
Existe-t-il encore de la place pour développer de nouvelles STEP en Belgique ?
En 2025, des travaux d’agrandissement du bassin supérieur et inférieur de Coo vont augmenter la puissance à 1 161 MW et son volume de stockage 5 600 MWh (+7%), mais ce type de travaux ne peut pas être répliqué facilement sur tous les types de barrages.
Les coopératives d’énergies belges explorent la possibilité de mettre en place des STEP locales de taille plus réduite, potentiellement dans des carrières abandonnées en Wallonie, atteignant environ 100 mètres de hauteur. Les principaux défis résident dans la gestion de ces installations et la disponibilité sur le marché de turbines-pompes de petite taille (< 30 MW). Une cartographie du potentiel de développement de sites de pompage-turbinage a été publiée par l’ULB et l’ICEED. Elle met en évidence de nombreux ‘mini-Coo’, principalement situés le long de la Meuse, de l’Ourthe et de la Semois. Ce potentiel est réparti sur 17 sites, représentant une capacité équivalente à 822 MW pour 3 836 MWh de stockage. Les auteurs de cette étude concluent qu’un deuxième Coo n’est clairement pas envisageable en Belgique. Cependant, compte tenu du potentiel de ces petits sites, il serait dommage de ne pas les exploiter. Ces petites centrales pourraient jouer un rôle clé sur le marché de la flexibilité. L’enjeu pour les coopératives sera de s’associer pour entreprendre ces projets d’envergure (dont les coûts varient de 45 à 685 millions d’euros par site identifié) et, surtout, d’obtenir l’acceptation de la population locale pour des initiatives susceptibles de modifier le paysage.
Les futurs projets approuvés dans les derniers mécanismes de CRM seront des parcs de batteries stationnaires pour un objectif d’environ 1 gigawatt d’ici 2026. Ces batteries offriront une réactivité de quelques millisecondes et des durées de stockage de 1 à 4 heures.
La stabilité du réseau, influencée par la variabilité de l’énergie, dépendra d’une combinaison de systèmes connectés au marché, rendant les projets de stockage attractifs pour les investisseurs, notamment grâce au mécanisme de CRM 2023-2026 qui réduit les risques d’investissement. L’auto-régulation du marché est attendue avec la réduction de la volatilité des prix, offrant une stabilité accrue aux utilisateurs. La flexibilité et la sobriété seront les derniers piliers sur lesquels nous pourrons compter pour éviter les périodes de sous- ou surabondance. Il faudra encore attendre leur application à une échelle plus locale, qui se matérialisera dans un premier temps par une tarification incitative, notamment celle prévue à partir de 2026 en Wallonie.