Face à la crise économique mondiale, les gouvernements envisagent de relocaliser des activités essentielles sur leur territoire. Mais quels seront ces biens et services essentiels ? Et à quelle échelle territoriale seront-ils redéployés ? En Wallonie, les villes et communes engagées dans des Plans d’Action pour l’Energie et le Climat avancent déjà sur un modèle de résilience locale.
Voici un an, Renouvelle posait et analysait cette question : Quelle(s) échelle(s) territoriale(s) pour la transition écologique ?
Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire et économique du Covid-19, cet enjeu prend une dimension cruciale (lire par exemple cette tribune dans Le Monde : « Relocaliser n’est plus une option mais une condition de survie de nos systèmes économiques et sociaux »).
Face à la vulnérabilité d’un système économique mondialisé, les Etats envisagent en effet de relocaliser des activités essentielles sur leur territoire.
Mais quelles sont ces activités essentielles ? Et à quelle échelle territoriale doivent-elles être relocalisées (Europe, pays, régions, provinces, arrondissements, communes…) ?
A l’instar du gouvernement wallon, plusieurs dirigeants ont manifesté leur volonté, une fois l’urgence sanitaire dépassée, d’orienter le redéploiement « vers la relocalisation d’activités, l’économie circulaire, les circuits courts et des premières concrétisations du Plan de transition ».
Cette approche traduit bien une prise en compte de l’interdépendance entre les choix de modèles économiques, les enjeux sanitaires et la transition écologique. Pour répondre aux questions ci-dessus, il s’agira donc d’identifier les biens et services essentiels et le territoire qui rendra la chaîne d’approvisionnement de chacun d’eux la plus robuste et soutenable dans un contexte mondial bouleversé.
Le terme « démondialisation » n’est plus tabou
Depuis mars 2020, la nécessité d’une certaine démondialisation, sujet pourtant encore tabou quelques semaines plus tôt, a fait irruption dans le débat public. Ce débat est actuellement, et c’est bien normal, principalement centré sur la production de matériel médical. Mais d’autres besoins pourraient rapidement devoir intégrer le cœur des discussions. La mise sous tension des chaines d’approvisionnement mondialisées par le confinement d’une partie de plus en plus importante de l’humanité cause déjà et causera inévitablement des pénuries dans le monde, notamment en matière d’approvisionnement alimentaire (lire et visionner ce débat sur La Première).
De plus, on peine encore à évaluer l’ampleur de la dépression économique déclenchée par la pandémie. Mais tous les analystes s’accordent maintenant pour dire qu’on assiste à du jamais vu. Dans ce contexte socio-économique inédit par sa gravité, les questions de garantie de l’accès pour tous les citoyens à une alimentation et un logement de qualité, à une énergie abordable, aux soins de santé, à des vêtements, et à des loisirs doit être posée.
Dans le monde de demain, les citoyens devront notamment avoir accès une alimentation locale durable.
Des clivages politiques exacerbés
Bien conscientes de ces enjeux, les banques centrales déploient des moyens monétaires hors norme pour tenter de maintenir le système financier mondial, tandis que les Etats du monde entier investissent des montants colossaux pour soutenir les entreprises et les ménages, reléguant à un autre temps les règles de discipline budgétaire jusqu’ici en vigueur.
Mais à quoi cet argent va-t-il être utilisé ? Quel modèle de redéploiement va-t-il soutenir dans un contexte de déclin des ressources de stock (pétrole en tête), de réchauffement climatique et d’effondrement de la biodiversité ? Un vaste débat de société doit être engagé pour répondre à ces questions. Les clivages politiques traditionnels risquent de s’exacerber, entre les tenants d’une réforme du système pour le renforcer face à des risques comme les pandémies, et ceux d’une transformation plus en profondeur basée notamment sur une relocalisation massive de pans entiers de l’économie.
La notion de territoire comme outil de consensus
Pour tenter de dépasser ces clivages, il s’agit tout d’abord de définir un objectif commun partagé par l’ensemble (ou la grande majorité) des tendances politiques. Cet objectif rassembleur pourrait se résumer comme suit : « Tendre vers une société résiliente garantissant un nouvel équilibre écosystémique et offrant à tous une perspective de vie décente et digne ».
Une fois cet objectif défini, libre à chacun de proposer au débat sa manière de l’atteindre. C’est à ce stade que la question des territoires pourrait aider à prendre de la hauteur.
En effet, selon la définition « animale » du terme, le territoire d’un individu ou d’un groupe d’individus est l’espace dont il tire ses moyens de subsistance. Poser la question de la résilience à court et moyen terme passe donc notamment par une évaluation de la vulnérabilité et de l’impact écologique des processus de production et des chaines d’approvisionnement, pour aboutir à la définition des procédés de production et d’échelle territoriale qui réduiront cette vulnérabilité et ces impacts au maximum, en tenant compte des contraintes techniques, organisationnelles, économiques, sociales et culturelles.
Alors, où atterrir ?
Le résultat d’un tel processus consisterait en une réorganisation des activités et des solidarités humaines (et donc des compétences politiques) à des échelles territoriales variant en fonction de la thématique traitée pour tenter de ramener notre territoire dans les limites des ressources planétaires
Mener un changement sociétal aussi profond s’avère pour le moins périlleux étant donnés les forces en présence et le contexte culturel, social et psychologique des prochains mois. Il s’agira de croiser les disciplines, les expertises et les politiques pour atteindre tant que faire se peut une vision systémique. Il s’agira surtout de faire de ce processus un vecteur de reconnexion des citoyens avec leur territoire et le bien commun.
On trouve ce type d’approche dans l’étude « Bio-région, Ile-de-France 2050 » réalisé par l’Institut Momentum en 2019. Partant du constat que cette région, à bien des égards similaire à la Belgique, ne produit plus que 10% de ce qu’elle consomme, cette étude propose un scénario de transformation profonde de l’aménagement des territoires et de la vie qui pourra s’y développer dans un monde sans pétrole. On y parle de réorganisation administrative, de décentralisation, de diversification, simplification et redondance des systèmes de production et des chaines d’approvisionnement, d’adaptation de la consommation d’énergie à la production, de solidarités rural-urbain, etc.
Dans un registre plus ciblé, l’étude « Nourrir l’Europe en temps de crise » présentée par le Groupe des Verts au Parlement européen en 2014 peut également permettre de se poser les bonnes questions au moment de réfléchir à notre résilience alimentaire. Elle propose d’appuyer la reconception des systèmes alimentaires sur la décentralisation, la diversification, la circularité et la cohésion sociale selon les principes de restauration des écosystèmes et de conversion aux énergies renouvelables.
Du point de vue énergétique, il s’agit donc d’accompagner cette recomposition du système économique par une décentralisation de la production à partir de sources renouvelables dans une dynamique de circularité et de cohésion sociale. Bonne nouvelle, c’est exactement ce que l’Europe désire promotionner à travers le développement de communautés d’énergie renouvelable (lire notre article Coronavirus : La Démocratie énergétique comme résilience ?).
Les communautés d’énergies renouvelables, qui se développent partout en Europe, permet par exemple de partager sa production photovoltaïque avec ses voisins. Ce modèle offre de grandes perspectives de résilience économique et de solidarités humaines.
Vers des plans locaux de redéploiement résilient ?
Bien que les techniques de pilotage nécessaires à la réussite d’un tel atterrissage doivent encore pour beaucoup être inventées, il est déjà possible de baliser quelque peu la piste.
Pris entre l’urgence d’agir et le temps nécessaire à l’appropriation citoyenne indispensable d’un tel processus, nous devons trouver un subtil équilibre entre politiques nationales, régionales, supra-locales et locales.
Aux niveaux local et supra-local, les Plans d’Action pour l’Energie et le Climat développés depuis quelques années par des villes et communes de Wallonie constituent assurément de bonnes bases de travail.
En effet, ces Plans locaux traitent les questions d’atténuation des émissions de CO2 (donc de réduction de la dépendance aux énergies fossiles) et d’adaptation aux impacts du changement climatique en tenant compte de l’interconnexion des enjeux environnementaux, sociaux, économiques, démocratiques et culturels (lire notre article Un guide pratique pour la transition énergétique locale ).
A l’heure de se relever de la pandémie, les communes qui iront au bout de cette démarche systémique à travers un processus de co-construction citoyenne et une bonne coordination avec les niveaux de pouvoir supérieurs disposeront d’un outil précieux pour œuvrer au redéploiement résilient des activités locales et de leur région, un véritable « Plan local de redéploiement résilient ».