Relocaliser l’économie : Bientôt des panneaux solaires « Made in Europe » ?

Face à la crise économique liée au coronavirus, des acteurs européens du photovoltaïque souhaitent créer une production industrielle de panneaux solaires en Europe, afin de s’affranchir du marché chinois. Cette re-localisation stimulerait des objectifs plus ambitieux et créerait des milliers d’emplois. 

Au sein de l’économie mondialisée, la Chine est devenue la principale « usine du monde » pour la plupart des biens que nous consommons. Les panneaux solaires n’y échappent pas. Ceux-ci sont essentiellement fabriqués en Asie, en Chine en particulier, comme le montre la figure ci-dessous issue du « Trends 2019 » publié par l’Agence Internationale de l’Energie. Et ce à toutes les étapes de fabrication. 

Or la crise du coronavirus, à travers la pénurie de masques de protection notamment, a mis en évidence l’impact d’une si grande dépendance extérieure envers des biens jugés essentiels.  

En 2020, la filière photovoltaïque sera très impactée par l’arrêt et les retards de fabrication de panneaux solaires en Chine. L’agence BloomergergNEF estime ainsi qu’il est désormais nécessaire de relocaliser une industrie solaire en Europe notamment (lire cet article de Euractiv). 

Et plus globalement, de nombreux économistes et acteurs professionnels estiment désormais que la survie de nos économies passera par une relocalisation des activités (lire notre article Coronavirus : La Démocratie énergétique comme résilience ? et cette tribune dans Le Monde : « Relocaliser n’est plus une option mais une condition de survie de nos systèmes économiques et sociaux »). 

Source : IEA-PVPS

Soulignons également que l’Europe dépend à 58% de l’extérieur pour son approvisionnement énergétique, à travers ses importations de pétrole et de gaz notamment (chiffres Eurostat 2028).  

Pour atteindre son objectif Zéro carbone d’ici 2050, l’Europe doit donc s’affranchir de ces importations et développer sur son territoires toutes les sources d’énergies renouvelables disponibles : photovoltaïque, éolien, biomasse, géothermie, hydroénergie… 

Dans ce contexte, les panneaux solaires deviennent donc un bien essentiel pour assurer l’autonomie énergétique européenne. 

De nombreux acteurs de la filière plaident pour une re-localisation en Europe d’une production industrielle de panneaux solaires. 

Ce projet, qui germait depuis quelques années, pourrait bientôt s’accélérer, au bénéfice d’une dynamique vertueuse en Europe. Il pourrait s’inspirer de l’Alliance Européenne de la Batterie, car la production photovoltaïque et le stockage sont hautement complémentaire.

 

Vers une collaboration industrielle européenne ? 

 

En 2014 déjà, Eicke Weber du Fraunhoffer Institute, présentait à Bruxelles le concept d’une « xGW solar Manufacturing in Europe » lors de la conférence annuelle de la European Technology & Innovation  Platform Photovoltaic (ETIP-PV.eu).

Mi-2019, le Fraunhoffer Institute précisait ce concept en publiant différentes études démontrant la pertinence industrielle et économique d’un tel projet via ces communiqués de presse : 1 et 2.

A l’image du projet industriel Airbus, cette Giga Factory solaire pourrait s’appuyer sur une collaboration industrielle entre des Etats européens. Cette collaboration se concrétise déjà au sein du European Solar Manufacturing Council (ESMC). Cette initiative met en évidence que, au regard de ses coûts, la production d’énergie solaire n’en est qu’à ses débuts et que le marché de l’équipement – et par là de la fabrication – est simplement gigantesque, comme le montre le graphique ci-dessous.  

Source : Fraunhofer Institute, sur base d’une étude de marché Shell.

Il y a donc une grande place pour le « Made in Europe » dans le monde du solaire. Et si l’Europe ne le fait pas… et bien la Chine annonce déjà la construction d’une usine  permettant de produire 60 GWc de panneaux solaires chaque année. Ce qui représente plus de la moitié de ce qui a été installé en 2018 au niveau mondial. 

 

Une dynamique d’équipement à la hauteur des défis 

 

Cette initiative est d’autant plus séduisante qu’elle crée une dynamique de renforcement mutuel entre les politiques que les Etats membres doivent mettre en œuvre au regard des accords de Paris (engagement moral) et des objectifs renouvelables fixés par la Commission européenne (obligation). 

Tablant sur l’existence d’une capacité de production à proximité, les Etats membres peuvent revoir de manière ambitieuse à la hausse leurs objectifs dont cette industrie peut directement bénéficier. 

En effet, différentes études démontrent que la proportion de l’énergie solaire dans notre consommation d’énergie finale est majoritaire dans un mix énergétique assuré 100% par du renouvelable à l’horizon 2050. 

Une étude finlandaise évoque 50% d’énergie solaire pour la zone économique à laquelle la Belgique appartient (pour 67% au niveau mondial), tandis qu’une étude anglaise mentionne quasi 70% de solaire pour la Belgique. 

Figure ci-dessus : A l’horizon 2050, l’étude finlandaise considère que la région BENELUX pourrait satisfaire ses besoins énergétiques à hauteur de 50% par la production solaire seule. 

 

Des emplois locaux avec du sens 

 

Cela va sans dire : une nouvelle industrie européenne signifie des emplois européens. Et comme ils se basent sur une ressource locale non délocalisable, ces emplois peuvent-être vu dans la durée. 

Source : Fraunhofer Institute.

De plus, ces emplois peuvent être qualifiés d’essentiels : ils participent à notre effort d’équipement vers un continent Zéro carbone et sécurisent notre alimentation énergétique. 

 

Une filière encore plus vertueuse 

 

L’initiative dépasse l’opportunité financière d’un développement industriel : elle ambitionne également d’aller plus loin afin de rendre cette filière encore plus vertueuse, dans 4 domaines au moins :
 

  1. Dans l’amélioration des méthodes de production et de valorisation des matières recyclées, pour avoir une filière dont la circularité est importante (lire notre article Le recyclage photovoltaïque s’impose). 

     
  2. Dans la diminution des transports de matière. Actuellement le transport de panneaux depuis la Chine jusqu’en Europe représente environ 5 à 10% de leur emprunte carbone.
  3. Source : ETIP-PV.eu
     
  4. Dans la valorisation des nouvelles méthodes de production développées en Europe, par exemple via la croissance épitaxiale (ou Kerfless) des cellules plutôt que le sciage des lingots (lire notre article Les cellules solaires « kerfless », une technologie à prix inédit). 
     
  5. En ayant recours à un mix énergétique européen, globalement plus propre que celui de l’Asie (surtout à l’Ouest et au Nord de l’Europe), la fabrication européenne pourra diminuer de moitié l’empreinte carbone (déjà réduite) des panneaux solaires produits. 

Source : World Energy Outlook 2019.

 

Nous devons stocker des excédents 

 

Le solaire n’est bien entendu pas la seule solution. La production photovoltaïque est absente la nuit et plus faible à certaines saisons.

La filière est donc complémentaire aux autres sources renouvelables (éolien, pompes à chaleur, hydroénergie, …), à l’efficience énergétique (isolation) et à la flexibilité (consommer différemment selon les moments).

Mais nous attirons l’attention sur le fait que nous devons créer des moments d’excédents de production renouvelable. C’est indispensable pour pouvoir stocker des excédents en vue d’assurer les besoins essentiels durant les périodes où la météo est défavorable. Ce stockage peut se faire via des batteries pour quelques heures/jours et via du gaz de synthèse pour quelques semaines/mois.

Or le photovoltaïque est, aujourd’hui, la solution la moins chère et la plus rapidement implémentable pour créer ces excédents à des moments prévisibles.