Quels métaux pour une transition juste ?

Selon la Banque mondiale, la production de minéraux pourrait augmenter de près de 500 % d'ici à 2050, pour répondre à la demande de technologies propres. Or l’extraction minière s’avère souvent polluante ou en infraction des droits humains. Comment concilier les enjeux climatiques et sociétaux ?

Le centre Etopia a initié un séminaire sur une question essentielle : “Quels métaux pour une transition juste ?”

La première partie s’est déroulée le 3 mai et posait ce constat : la transition énergétique et digitale dans les pays occidentaux – et singulièrement en Europe – devrait multiplier par 5 l’extraction de métaux, principalement dans les pays en voie de développement.

En effet, selon un important rapport du Groupe de la Banque mondiale, la production de minéraux tels que le graphite, le lithium et le cobalt pourrait augmenter de près de 500 % d’ici à 2050, pour répondre à l’augmentation de la demande de technologies énergétiques propres.

Ce rapport prévoit que plus de trois milliards de tonnes de minéraux et de métaux seront nécessaires pour déployer l’énergie éolienne, solaire et géothermique ainsi que le stockage de l’énergie, afin que la hausse de la température du globe reste inférieure à 2°C.

Mais bien que les énergies propres nécessitent davantage de minéraux, l’empreinte carbone associée à leur production, de l’extraction à l’utilisation finale, ne représentera que 6 % des émissions de gaz à effet de serre générées par les énergies fossiles.

Le rapport souligne aussi le rôle important que joueront le recyclage et la réutilisation des minéraux pour répondre à cette hausse de la demande. Toutefois, même en augmentant de 100 % les taux de recyclage du cuivre et de l’aluminium par exemple, cela ne suffira toujours pas à satisfaire les besoins des énergies renouvelables et du stockage de l’énergie.

Une extraction minière polluante

Or ces métaux sont parfois extraits dans des conditions épouvantables pour l’environnement et la santé des habitants et des travailleurs des pays concernés (Chine, Chili, Bolivie, Afrique, …).

Les citoyens se posent dès lors des questions légitimes : les politiques climatiques ambitieuses dans les pays du Nord se feront-t-elle au détriment de l’environnement et des populations locales des pays du Sud ? Allons-nous remplacer notre dépendance aux énergies fossiles par une dépendance à ces minéraux situés en quantités limitées dans certains pays du monde et exploités par quelques multinationales sans scrupules ?

Le débat est complexe mais nous invite à intégrer cette réalité : Comment concilier les enjeux climatiques et sociétaux au bénéfice des citoyens, partout dans le monde ?

Les intervenants du webinaire Etopia dressent quelques constats sur l’impact de ces extractions minières.

“Une activité minière a un impact intensif au niveau local, pour 20-30-50 ans, avec un bouleversement économique et social, notamment pour l’agriculture et l’élevage”, explique Frédéric Thomas, chargé d’étude au CETRI. “Or l’industrie extractive crée très peu de richesse et d’emplois locaux. Il faut donc diversifier l’économie, former des cadres dans d’autres secteurs. L’agriculture paysanne offre plus d’emplois mais se trouve négligée. Au niveau environnemental, les communautés locales plaident pour un moratoire afin de rendre l’activité minière moins polluantes : au Salvador, en Malaisie, en Indonésie, … »

Sabine Kakunga, Chargée de programme sur l’Afrique centrale au CNCD, témoigne de la situation en République Démocratique du Congo : “En 2018, il y a eu une révision du code minier avec certaines avancées. L’entreprise doit désormais verser une partie de ses bénéfices par virement bancaire aux provinces, qui peuvent dès lors financer des projets de développement. La loi prévoit également une étude d’impact environnemental avec la communauté locale. Mais la loi n’est pas toujours appliquée. Il faut donc faire connaître la loi et les droits pour les citoyens. Il faut renforcer l’Etat et la société civile, leur donner les moyens de contrôler cette activité.”

Responsabilité sociétale des entreprises

Or l’Europe est en train d’adopter une législation ambitieuse sur la responsabilité sociétale des entreprises.

Ce projet de loi, salué par les ONG, devrait contraindre les sociétés européennes et leurs sous-traitants à respecter les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance dans tous les pays où elles mènent leurs activités, et donc à rendre des comptes (lire ces articles de Euractiv et de Actu-environnement).

Olivier Derruine, économiste et assistant au Parlement européen, précise cependant : “Mais pour y arriver, il faut surveiller les entreprises minières avec la participation des populations locales. Il faut créer des antennes locales, avec les citoyens, les syndicats, … et donc prévoir cela dans l’aide au développement.”

Créer de la valeur dans le Sud

Autre réalité : les minerais extraits dans les pays du Sud sont vendus sur le marché international mais rapportent 10 fois plus lors de leur transformation, généralement dans les pays du Nord.

C’est ainsi que différents pays en développement souhaitent désormais monter dans la chaîne de valeur et transformer eux-mêmes leurs minerais. Dans le cadre d’une transition énergétique équitable, on pourrait par exemple voir se développer des chaînes de batteries pour véhicules électriques en Afrique. “Mais les multinationales n’ont pas intérêt à laisser ces pays transformer eux-mêmes leurs minerais”, souligne Frédéric Thomas.

Sobriété énergétique et économie circulaire

Compte tenu de ces réalités et de la croissance attendue de l’extraction minière, les acteurs de la transition énergétique – en Europe comme ailleurs dans le monde – se doivent de s’engager dans de véritables objectifs de sobriété énergétique.

Consommer moins de biens, mieux concevoir et prolonger la vie des objets, recycler, … – ce que l’on appelle l’économie circulaire – permettra de réduire la demande de métaux pour la fabrication de technologies vertes.

En matière de mobilité par exemple, nos sociétés devront avant tout développer et encourager la mobilité douce (marche, vélo, trottinette) et l’usage des transports en commun et, dans le même temps, réduire fortement l’usage individuel de la voiture et donc diminuer la construction de véhicules. La voiture la moins polluante est celle que l’on ne fabrique pas !

De nombreux acteurs de la transition sont également conscients des ressources limitées ou nocives actuellement utilisées et se montrent responsables.

Ainsi, des constructeurs automobiles et des développeurs éoliens fabriquent désormais des voitures électriques et des éoliennes sans « terres rares », grâces à des matériaux alternatifs non-problématiques.

Quant au lithium ou au cobalt (en quantités limitées sur terre), l’industrie automobile pourra progressivement diminuer leur usage voire s’en passer. L’innovation s’oriente en effet vers les batteries au soufre, au sodium, au zinc ou les piles salines, autant de matériaux abondants et/ou à faible impact environnemental.

Enfin, les batteries usagées de véhicules électriques (notamment au lithium-ion) peuvent être reconditionnées en capacité de stockage, afin de stocker des surplus de productions photovoltaïques ou éoliennes et contribuer ainsi à l’équilibrage du réseau. On évite ainsi de jeter et fabriquer trop rapidement de nouvelles batteries, en donnant une deuxième vie aux batteries usagées.

Pour en savoir plus, lire nos deux réponses à un documentaire polémique :

“La face cachée des énergies vertes” : un docu qui pose questions
Eolien et voitures électriques : comment réduire les besoins de matériaux critiques ?

Les batteries usagées de voitures électriques peuvent servir de système de stockage d’électricité photovoltaïque.

Une volonté européenne

Le Green deal européen affiche l’ambition de développer l’économie circulaire en Europe.

Consciente des enjeux, la Commission européenne a par exemple initié en septembre 2020 un Plan d’action sur les matières premières critiques

Ce Plan vise à  :

  • développer des chaînes de valeur résilientes pour les écosystèmes industriels de l’UE;
  • réduire la dépendance à l’égard des matières premières primaires critiques grâce à une utilisation circulaire des ressources, à la conception de produits durables et à l’innovation (schéma ci-dessous);
  • renforcer l’approvisionnement en matières premières sur le marché intérieur de l’UE;
  • diversifier l’approvisionnement en provenance de pays tiers et éliminer les distorsions dans le commerce international, en respectant pleinement les obligations internationales de l’UE.

Concrètement, il s’agira de réduire les besoins ou de remplacer les matériaux critiques et d’investir dans la Recherche & Développement de matériaux alternatifs (lire notre article Eolien et voitures électriques : comment réduire les besoins de matériaux critiques ?).

Prolonger le débat

Pour suivre ces questions essentielles, nous vous invitons à participer à ces deux webinaires :
Green European Foundation : Mining for metals – can it be fair ? – 15 mai 2021
Etopia : Quels métaux pour une transition juste – partie 2 – 3 juin 2021