Certains pays occidentaux s’inspirent déjà de solutions venues du Sud global mais il ne faudra pas oublier de mettre en œuvre, aussi, les principes de la justice climatique.
Après un long voyage, c’est ici que s’achève notre thématique climatique sur le Sud global. Comme nous l’avons vu dans les deux précédentes parties, ces pays ont beaucoup d’expérience à nous transmettre dans l’adaptation face aux dérèglements climatiques. Maintenant, que faire de tout cela ? Certaines des idées que nous avons explorées pourraient nous inspirer dans un avenir proche, d’autres sont déjà appliquées en Europe.
Par exemple, le microcrédit pour soutenir de petits entrepreneurs s’est développé un peu partout en Europe suite aux initiatives mises en place par la Grameen Bank au Bangladesh. En Aquitaine, un institut de formation se réfère aux pratiques participatives mises en place par le Mouvement des sans-terre brésiliens pour animer une radio locale.
Dans son projet d’« Accession sociale par la construction en aide mutuelle », l’Agence d’urbanisme de Dunkerque s’inspire des mutirões brésiliennes : une pratique de construction d’habitat, dans les quartiers populaires de São Paulo, qui permet à des habitants, regroupés en coopérative de construire, ensemble, leur logement et d’y accéder à des coûts 20 à 30% moins élevés que ceux du marché. Le principe du du budget participatif, à Porto Alegre au Brésil, a été repris par des municipalités un peu partout en Europe.
Grâce aux jumelages entre communes, une solidarité Nord-Sud a permis de stimuler les échanges et la réflexion commune sur les enjeux actuels. Ces quelques exemples permettent de mieux comprendre le potentiel de tels jumelages.
Comment des expériences de gestion participative au Maroc inspirent la commune de Jette
Dans le sud du Maroc, la culture berbère se traduit par de nombreux projets collectifs et citoyens. Anne-Françoise Nicolay, chargée au sein de la commune de Jette d’un programme de renforcement des compétences de communes au sud du Maroc, témoigne du caractère inspirant, pour notre société, de cet esprit communautaire :
« Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est cet investissement. C’est un peu culturel aussi car c’est la manière de fonctionner de cette société amazighe qui fait beaucoup de travail communautaire. (…) La commune de Belfaâ a fait 52 ateliers pour le budget participatif et donc ce sont les habitants qui pouvaient décider de ce qu’ils voulaient en priorité pour leur village(…). »
Elle estime que ce type de projet de transition, mené au Sud, peut inspirer les nôtres : « Quand on a des jeunes Bruxellois qui viennent ici, la réflexion qu’ils font en priorité c’est : « Waouw ! ces gens, qu’est-ce qu’ils travaillent !, qu’est-ce qu’ils s’investissent ! ». Et ces jeunes réalisent que nous, en tant que Belges, on est toujours en demande par rapport aux institutions, alors qu’ici c’est la société civile qui fait évoluer les institutions, c’est une démarche tout à fait différente qui est plus proche de la transition. »
Mettre en place des jumelages climatiques
Le changement du climat s’intensifiant, certains proposent des « jumelages climatiques » comme l’ont fait la commune de Carbonne en Occitanie et celle de Fuente Obejuna en Andalousie. L’objectif ? Élaborer une méthodologie permettant à une commune d’analyser et optimiser sa stratégie d’adaptation à ce changement, en se basant sur une commune ayant des caractéristiques physiologiques similaires, et dont le climat actuel correspond à celui anticipé pour la commune étudiée.
Relancer le dialogue Nord-Sud sur de nouvelles bases
Souvent, les pays du Sud global sont d’abord vus comme des pays « dans le besoin ». Pourtant, ils possèdent des savoirs et des savoir-faire, souvent ignorés voire dénigrés, qui profiteraient à l’ensemble de la planète. Or, comme le souligne le Réseau Réciprocité des Relations Nord-Sud, « l’échange d’expériences –y compris de celles qui se sont révélées constituer des impasses– de connaissances et de savoir-faire permet à chacun de prendre du recul par rapport à son action et de l’améliorer. (…) Cette mise en relation peut avoir un autre but. En effet, ceux qui se rencontrent se situent au même niveau, sur un pied d’égalité. Un vrai dialogue, réciproque et symétrique est donc possible. Car ces acteurs sont motivés par le fait d’affirmer et de pérenniser leurs expériences locales ».
Ces échanges impliquent évidemment un changement de posture de la part de ceux qui ont été habitués à montrer l’exemple, voire à imposer leur vision et manière de faire. Cela demande de l’humilité et plus de respect envers des pratiques nées dans un autre contexte culturel et politique.
Il nous faut bâtir de nouveaux ponts, réinventer l’avenir ensemble, Nord et Sud, construire une société civile internationale plus forte et s’ouvrir à de nouvelles formes de partenariats basés sur l’écoute et sur le respect mutuel. À cet égard, une plateforme comme « Climate Chance » rassemble les bonnes pratiques et les ressources mises en œuvre à travers le monde, à l’échelle des territoires, par des acteurs non-étatiques, en matière de climat et biodiversité.
Ne pas oublier la dette écologique des pays riches envers les pays plus pauvres
Ce nouveau dialogue mondial pour s’inspirer mutuellement ne peut se faire sans tenir compte de la dette écologique qu’ont les pays du Nord vis-à-vis des pays du Sud. En effet, la créativité et la résilience des pays du Sud global ne doit pas masquer les énormes difficultés de ces populations à faire face aux phénomènes climatiques de plus en plus violents. Et surtout, elle ne doit pas faire oublier la responsabilité historique des pays riches dans ces phénomènes… Des pays qui tardent à s’acquitter de leur fameuse « dette écologique ».
Ce sont surtout les pays à faibles revenus, et les moins émetteurs de gaz à effet de serre, qui subissent le plus les effets du dérèglement climatique alors qu’ils en sont les moins responsables. 91% des décès qui sont dus à des phénomènes météorologiques extrêmes surviennent dans des pays dits « du Sud global » à faibles revenus. Une tempête, une sécheresse ou une inondation s’avèrent être 15 fois plus meurtrières dans ces régions.
Face à cette injustice et pour la réparer, il faut mettre en place une justice climatique, soit des mesures structurelles au niveau social, politique et économique. L’idée est de demander aux gros pollueurs historiques de réduire leurs émissions de GES, mais aussi d’aider les pays les plus touchés à faire face à la crise climatique.
Des fonds « verts » spéciaux sont créés, mais ils sont souvent inférieurs à ce qu’ils devraient être aux yeux des scientifiques et peu sont vraiment mis en œuvre. Ainsi, d’après des analystes du Fonds monétaire international, la dette « climatique » des « pays avancés », sur la base de leurs émissions effectives et prévues de CO₂ pour la période 1959-2035, s’élèveraient à plus de 100 000 milliards, tandis que « les financements actuels n’ont pas encore atteint l’objectif de 100 milliards de dollars par an ». Comme le dit Esther Duflo, spécialiste du développement et de la lutte contre la pauvreté (Prix Nobel d’économie en 2019), « à chaque nouvelle conférence sur le climat, nous promettons d’allouer aux pays pauvres un budget de 100 milliards. Cent milliards, ce n’est pas assez par rapport aux dommages que nous leur infligeons. Et en plus, ils ne sont pas versés ! ».
Alors que les plans de soutien, comme le Fonds « Pertes et dommages » décidé lors de la COP 28, peine à être concrétisé, Esther Duflo insiste sur l’intérêt des pays riches à investir dans l’adaptation des pays du Sud, non seulement pour des raisons morales, mais aussi dans leur propre intérêt. Si on veut stabiliser les relations économiques et diplomatiques dans un monde qui se fracture de plus en plus, il est indispensable de soutenir les efforts d’adaptation et d’atténuation des pays pauvres. Mais tous ces efforts pour le climat ne doivent pas se faire au détriment des politiques sociales de lutte contre la pauvreté, contre les épidémies, pour l’éducation, pour l’égalité entre femmes et hommes, selon Esther Duflo.
En conclusion, il est important de souligner combien le dialogue Nord-Sud doit être maintenu et encouragé, sur base d’un nouvel équilibre mondial équitable. Un dialogue aussi porté par des citoyen.ne.s afin d’échanger de bonnes pratiques mais aussi de construire, ensemble, un nouvel avenir, en s’inspirant de différentes cultures, de différents modes d’organisation sociale et politique. Un avenir inspiré de l’expérience et de la sagesse des peuples autochtones, les plus résilients de la planète.