Les trains de nuit ou comment voyager proprement en Europe

La concurrence aérienne low-cost semblait avoir tué les trains de nuit. Et pourtant, des opérateurs ferroviaires européens ont réinvesti dans ce service et connaissent une forte hausse de fréquentation. Tandis que des collectifs citoyens plaident pour ce transport longue-distance très vertueux.

Il fut un temps où il était possible de voyager par train de nuit vers la plupart des grandes villes européennes. En Belgique, jusqu’au début des années 2000, les voyageurs pouvaient s’installer dans un train couchette en gare de Schaerbeek (Bruxelles) ou de Bressoux (Liège) et se réveiller le lendemain dans le sud de la France ou en Italie.

Depuis lors, la concurrence aérienne a profondément modifié la carte du transport en Europe : le boom des vols low-cost et la multiplication des aéroports régionaux (soutenus par des subsides publics) se sont traduits par une forte croissance du trafic aérien (plus de 1 milliard de voyageurs en Europe par an) et un déclin du service des trains de nuit (lire cet article de la Tribune de Genève : Comment les vols low cost ont tué trains de nuit et TGV et cet article du magazine Slate : Air et rail, les meilleurs ennemis).

Or, selon Eurostat, la moitié des voyageurs aériens ont pour destination un autre pays européen, souvent limitrophe. Plus de 500 millions de passagers pourraient ainsi préférer prendre un train de nuit, si ce service était existant et à prix comparable, pour arriver frais et dispo directement dans le centre-ville de la destination de leur choix – sans avoir pollué le ciel par avion. Voici un exemple de pertinence au départ de Paris :

Les trains de nuit sont un vrai outil de report de l’avion sur le rail. Carte réalisée par le collectif citoyen « Oui au train de nuit ».

Le coût du kérosène augmentera

Soyons clair : tant que le kérosène sera défiscalisé en Europe, l’avion restera longtemps plus compétitif, malgré son caractère énergivore et son impact désastreux sur l’environnement, comme le montre ce graphique :

Source : Ademe – Chiffres-clés des transports

Mais nous partons du principe que le pic pétrolier imminent et les politiques climatiques européennes nous imposeront, plus ou moins rapidement, une profonde sobriété énergétique, qui induira de nombreux changement de comportements (lire notre article Entre pic pétrolier et réchauffement climatique, voici le temps de la sobriété énergétique).

Avec le déclin pétrolier, le coût du kérosène – même défiscalisé – pèsera de plus en plus sur le prix des billets d’avion. Et si les Etats européens décident, non plus de soutenir des aéroports régionaux, mais de réinvestir dans le rail pour désenclaver leurs territoires (mesure climatique au bénéfice de la collectivité), l’on pourrait voir renaître un service de trains de nuit attractif.

Or nous assistons déjà aux prémices d’une renaissance

Constatons d’abord que les trains de nuit, jugés – à tort – peu fréquentés et peu rentables, ont surtout été abandonnés à l’Ouest de l’Europe (et singulièrement au Benelux et en France), tandis que ce service reste encore très présent à l’Est.

La success-story autrichienne

Ensuite, regardons de plus près l’exemple de l’ÖBB, la compagnie ferroviaire autrichienne, qui a relancé avec succès le plus grand service de trains de nuit en Europe.

Fin 2016, ÖBB a repris les lignes fermées par l’opérateur allemand, jugées peu fréquentées et peu rentables. L’opérateur autrichien a déployé un réseau de nuit, baptisé Nightjet, qui relie 10 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, l’Italie mais aussi, grâce à des partenariats, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie et la Hongrie.

En un an, la compagnie annonce que ce service est déjà rentable et compte passer de 1 million de voyageur en 2016 à 5 millions d’ici 2020.

Pour y arriver, ÖBB a investi dans du nouveau matériel roulant interchangeable sur les différentes lignes nationales : une stratégie essentielle pour garantir un service sans interruption sur de longues distances.

Fort de son succès, l’opérateur autrichien envisage à présent une extension de son service vers les Pays-Bas, qui souhaitent décharger la fréquentation de l’aéroport de Schipol (lire cet article du Telegraaf). Ce projet d’extension laisse même espérer un arrêt en Belgique.

Tandis qu’une liaison entre la Grèce et l’Europe centrale est à l’étude.

La succes-story suédoise

La SJ, l’opérateur ferroviaire suédois, a également ré-investi dans son train de nuit entre Stockholm et Malmö, notamment dans les niveaux de confort et un meilleur horaire. Dès 2014, ce service a gagné +65% de fréquentation sur un an et atteint la rentabilité. Pour accompagner cette hausse du trafic, SJ compte embaucher 500 agents de conduite et contrôleurs (lire cet article du International Railway Journal, cet article de La lettre du cheminot et la présentation du service sur SJ.se).

Une nouvelle clientèle orientée « Climat »

Les acteurs européens du rail suivent ces success-stories avec grand intérêt et réalisent qu’ils ont sous-estimé le potentiel des trains de nuit.

« Il y a une nouvelle génération qui veut choisir consciemment le train au lieu de l’avion », explique ainsi Pier Eringa, président de European Rail Inframanagers. « Ces voyageurs doivent être séduits par les prix, le confort, la commodité et une durée de voyage attrayante. » (lire cet article du Telegraaf).

Des collectifs citoyens réclament le retour de ce service

Partout en Europe, des collectifs citoyens se sont formés pour réclamer le retour des trains de nuit – preuve qu’il y a une demande.

Au niveau européen, le réseau Back on track sensibilise les décideurs du rail afin de redéployer ce service.

En France, le collectif Oui au train de nuit  est particulièrement actif. Nous vous invitons à lire leur enquête d’investigation sur les Intercités de Nuit. Cette enquête, passionnante et régulièrement remise à jour, vous permettra de saisir les causes du déclin de ce service en France mais aussi les enjeux et le potentiel de redéploiement en France et en Europe.

Nous vous invitons également à lire l’excellente analyse du bloggeur Sam BoisParr : Le train de nuit n’est pas mort ou “Pourquoi le ressusciter ?”

Le contre-exemple français

Une des caractéristiques de la France réside dans son infrastructure ferroviaire radiale au départ de Paris. Les Français du Sud qui souhaitent rejoindre une autre grande ville par train se voient donc obligés de faire une étape par Paris, ce qui augmente inutilement le nombre de km, la durée du trajet et le coût du billet.

La SNCF, qui a misé sur les TGV Nord-Sud et négligé ses lignes transversales, a donc laissé le secteur aérien répondre à cette demande, comme le montre la carte ci-dessous :

En violet : Trafic Moyen Journalier Annuel des TGV en France en 2013. En orange : les 5 lignes aériennes transversales les plus empruntées en 2017. Sources : SNCF Réseau & Ministère de la transition écologique et solidaire. Carte réalisée par Sam BoisParr.

Or, ces liaisons transversales pourraient précisément être assurées par des Intercités de Nuit, comme le montre cette carte :

Le potentiel insoupçonné des Intercités de Nuit sur les lignes transversales vers/depuis le Sud. Carte réalisée par le collectif Oui au train de nuit .

Ces deux cartes françaises résument à elles-seules tout l’enjeu d’un report du transport aérien vers le rail.

Gageons que les success-stories autrichienne et suédoise incitent les décideurs du rail à réinvestir dans leurs services de Nuit, au bénéfice des citoyens, de la collectivité et de l’environnement.