Nos quartiers seront-ils bientôt chauffés par des chaudières collectives alimentées en biomasse, géothermie ou chaleur fatale ? Les projets se multiplient en Wallonie et pourraient à terme remplacer le gaz et le mazout.
La fédération EDORA et le cluster TWEED organisait le 26 novembre dernier un webinaire qui faisait le point sur les réseaux de chaleur en Wallonie.
L’actualité est en effet riche : la Wallonie a adopté en octobre dernier un cadre réglementaire, certes minimal, mais qui pourrait stimuler les projets ; tandis que sur le terrain plusieurs réseaux de chaleur commencent à se concrétiser.
De quoi s’agit-il ?
Un réseau de chaleur permet de relier les bâtiments d’un quartier – par exemple 50 logements et 7 bâtiments publics et privés -, qui seront chauffés par une chaudière collective. L’eau qui circule dans les conduits est chauffée à 60-70° et passe par un échangeur situé sous chaque bâtiment, transférant ainsi sa chaleur au circuit d’eau du bâtiment et ses radiateurs.
Or ces réseaux de chauffage urbain offrent un grand potentiel pour valoriser des sources d’énergies renouvelables actuellement sous-exploitées : ces chaudières collectives peuvent en effet être alimentée par la biomasse (bois, pellets, plaquettes), le biogaz, la géothermie (eau naturellement chaude présente sous terre) ou la chaleur fatale c-à-d la chaleur qui est perdue au cours d’un processus industriel et qui pourrait être ainsi récupérée.
De quoi remplacer, progressivement, une grande partie des énergies fossiles (gaz, mazout) majoritairement utilisées pour chauffer nos maisons et bâtiments.
Voici un exemple de réalisation à Visé, dans l’éco-quartier « Les pléiades ».
Description complète du projet
Des objectifs stimulants
En Europe, environ 10% de la population est raccordée à un tel réseau. Les champions sont le Danemark, la Suède, l’Allemagne et l’Autriche. La France s’est également fixée des objectifs ambitieux. La Wallonie commence à peine à s’y intéresser, avec 54 réseaux existants et plusieurs projets en développement.
Mais les objectifs du Plan belge Energie-Climat devrait booster la production de chaleur de sources renouvelables, qui doublera dans les 10 prochaines années, passant de 8,7 TWh (2016) à 14,2 TWh en 2030. Une production particulièrement valorisable dans les réseaux de chauffage urbain.
Et si, parallèlement, la Wallonie atteint – ou augmente – ses objectifs d’isolation de ses logements – réduisant ainsi les besoins de chauffage -, ces réseaux de chaleur renouvelable pourront couvrir une large partie de la consommation des ménages.
Un grand potentiel pour les logements
Le Service Public de Wallonie a réalisé une étude – qui sera bientôt publiée – et qui démontre que les réseaux de chaleur pourraient couvrir 44% des besoins en énergie finale et 70% des besoins de chaleur en Wallonie, soit un potentiel énorme.
Comme le montre le graphique ci-dessous, le plus grand potentiel se situe au niveau des logements (secteur résidentiel) : 84% des besoins de chaleur peuvent y être substitué par des réseaux de chaleur. Le potentiel dans le secteurs tertiaire (bureaux, magasins) représente 54% et le secteur industriel 29%.
La raison en est simple : les logements sont de grands consommateurs de chaleur et la température de l’eau qui circule dans un réseau de chaleur (60-70°) correspond précisément aux températures nécessaires pour chauffer ces logements. Le secteur tertiaire consomme moins de chaleur ; tandis que l’industrie demande généralement des températures très élevée (>140°) que les réseaux de chaleur ne peuvent couvrir, d’où des potentiels moins importants.
Source : SPW – Etude « Promotion de l’efficacité en matière de chaleur et de froid » – 2020.
Opportunités et contraintes
Mais concrètement, ces réseaux de chaleur ne pourront se réaliser sur tout le territoire. Ils sont pertinents et rentables là ou une densité de population est suffisamment forte (zone urbaine et péri-urbaine).
Pour les communes et les ménages, cela représente une opportunité : accès à une énergie renouvelable à prix compétitif, un investissement mutualisé, une chaudière collective plus efficiente que plusieurs chaudières individuelles, une économie sur les coûts d’exploitation, …
Mais aussi des contraintes : démarche de concertation entre les riverains du projet, des travaux lourds avec ouverture des voiries, …
Pour les développeurs, ces projets ne sont pas simples non plus : l’investissement initial est très important mais avec un temps de retour assez long (8 à 16 ans), les démarches sont complexes, la gestion comporte des risques en cas de soucis technique (une chaudière collective en panne, c’est plusieurs dizaines de logements sans chauffage, il faut donc garantir un back-up).
Sur une durée de 30 ans, un réseau de chaleur s’avère néanmoins toujours compétitif aux niveaux financier et réduction de nos émissions de CO2, selon l’étude du SPW.
La création d’un réseau de chaleur représente d’importants travaux de voirie mais s’avère avantageux à long terme.
Principalement à biomasse
La grande majorité (85%) des réseaux de chaleurs wallons sont alimentés à partir de biomasse.
En voici deux exemples intéressants :
Le campus universitaire du Sart-Tilman
• Cogénération biomasse (7,2 MW thermique, 2,5 MW électrique)
• 22 km de réseau à trois branches
• 150 sous-stations (60 bâtiments du campus dont le Centre Hospitalier Universitaire)
• Couvre 25% des besoins électriques et 50% des besoins thermiques du site
Le réseau coopératif de Malempré
• Société coopérative citoyenne initiée par un agriculteur local
• Chaudière à plaquette (540 kW)
• 3,3 km de réseau
• 43 bâtiments dont 4 bâtiments publics
Notons qu’il existe aussi des réseaux de chaleur alimentés en biogaz. C’est notamment le cas à Surice, où une unité de biométhanisation produit de l’électricité et de la chaleur par cogénération. Un petit réseau de chaleur alimente les habitations voisines (description complète).
La géothermie refait surface
Le bassin de Mons dispose d’un potentiel géothermique prouvé, comme en atteste la découverte accidentelle en 1976 d’un gisement à Saint-Ghislain, valorisé depuis lors dans un réseau de chauffage urbain (10 MW) qui relie 350 logements, une piscine, 3 écoles, un hôpital et une gare (description complète).
Le potentiel géothermique de la Wallonie est cependant encore largement méconnu et nécessite des campagnes d’exploration du sous-sol afin de cartographier la ressource et ainsi minimiser les risques pour les investisseurs. Actuellement, les développeurs doivent procéder à des forages coûteux sans certitude de résultats. La Wallonie procèdera à de nouvelles campagnes géophysiques en 2021.
Le jeu en vaut la chandelle : cette énergie renouvelable, disponible en permanence (quelle que soit la météo) peut fournir chauffage et refroidissement, avec un faible impact visuel et environnemental. De plus, la basse température est applicable sur tout le territoire et est rentable si elle est bien dimensionnée.
Selon un rapport de l’ADEME (2019), la géothermie devient surtout compétitive à partir de 3 MW de chaleur, devenant ainsi plus intéressante que le gaz et la biomasse. C’est précisément à partir de cette gamme de puissance que cette source pourrait être valorisée à travers des réseaux de chaleur.
Pour l’heure, tous les regards se tournent vers un nouveau projet montois : L’intercommunale IDEA compte réaliser en 2021 le forage d’un doublet de puits à 2.500 m de profondeur, permettant de capter une eau chaude à 65 – 70°C avec un débit espéré de 150 m³/heure, et destiné à alimenter un nouveau réseau de chaleur urbain qui couvrira essentiellement les besoins en chaleur et en eau chaude sanitaire de l’hôpital Ambroise Paré (lire notre article Avec GOTHERMIA, la géothermie wallonne refait surface et consulter le site web du projet).
L’hôpital Ambroise Paré à Mons sera chauffé à la géothermie à partir de 2023.
La chaleur fatale, un potentiel considérable
Le secteur industriel – cimenteries, verreries – peut également fournir une quantité importante de chaleur valorisable dans des réseaux de chauffage urbain. En effet, de nombreux process industriel génèrent un rejet d’énergie thermique longtemps considérée comme perdue, appelée chaleur fatale.
Il ne s’agit pas d’une source d’énergie renouvelable, mais d’une récupération intelligente d’un gaspillage diffus.
Or l’étude du SPW – mentionnée plus haut – chiffre le potentiel de la chaleur fatale à 6,3 TWh par an, soit 14% du besoin de chaleur substituable en Wallonie (44.000 GWh/an). Ce qui est considérable.
Pour mieux connaître cette filière, nous vous invitons à lire nos article et interview :
Chaleur fatale : l’enjeu de sa récupération
Les ressources méconnues de la chaleur fatale
En Wallonie, deux projets intéressants sont en cours de développement.
A Pont-de-loup (région de Charleroi), l’incinérateur de l’intercommunale Tibi valorisera sa chaleur fatale à travers un réseau qui alimentera 800 logements sociaux, une piscine, plusieurs écoles et l’administration communale. La commune voisine de Farciennes s’est également affiliée au réseau en vue de chauffer ses bâtiments communautaires. L’usine Aperam, située à proximité, pourrait également s’y raccorder et y valoriser sa chaleur fatale.
A Herstal, l’incinérateur Intradel-Uvélia valorisera sa chaleur fatale à travers un réseau de 6,5 km qui couvrira les besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire d’environ 5 000 équivalents logements. Les travaux sous voirie commenceront fin 2020 pour une mise en service prévue fin 2021.
A terme, le réseau de distribution s’étendra au-delà des limites de la ville de Herstal pour desservir une partie de la ville de Liège (illustrations ci-dessous).
Le biogaz aussi
Outre la création de réseaux de chaleur renouvelable, la Wallonie pourra aussi compter sur la production et l’injection de biogaz dans les réseaux de gaz naturel existants.
Lire nos articles :
Le biogaz pourrait alimenter 1 foyer wallon sur 2
Première injection de biogaz dans le réseau wallon