Fossile ou renouvelable en Afrique, un dilemme existentiel

transition énergétique en Afrique

Le potentiel du renouvelable en Afrique est immense et les projets se multiplient dans certains pays. Mais cette course vers le renouvelable n’en concerne qu’une poignée, pour l’instant.

Elle est tempérée par de graves retards dans les investissements étrangers. Sans compter la grande tentation de puiser dans les immenses réserves d’énergie fossile que possède l’Afrique.

Comme démontré dans la première partie de notre analyse, cette transition énergétique en Afrique nous concerne tous. Pour la soutenir, le Secrétaire général de l’ONU António Guterres  estime qu’il faut réformer « un système financier mondial dépassé, injuste et dysfonctionnel » par un changement radical. En moyenne, les pays africains paient quatre fois plus pour emprunter que les États-Unis, et huit fois plus que les pays européens les plus riches.

Cela signifie garantir un mécanisme efficace d’allègement de la dette qui favorise les suspensions de paiement, des durées de prêt plus longues et des taux plus bas. Cela signifie aussi recapitaliser et modifier le modèle économique des banques multilatérales de développement afin qu’elles puissent mobiliser massivement des financements privés à des taux abordables pour aider les pays en développement à bâtir des économies véritablement durables.

Les infrastructures, grandes absentes des projets de transition

Selon la Chambre africaine de l’énergie, les promesses des partenaires occidentaux ne suffisent pas pour l’instant à assurer la sécurité énergétique du continent. Dans un rapport de mai 2023, elle affirme que « les solutions vertes à elles seules sont, à l’heure actuelle, insuffisantes pour fournir de l’énergie aux populations africaines. (…) Les parcs solaires et éoliens captent l’énergie renouvelable (du soleil ou du vent) et la convertissent en électricité. Cette électricité doit ensuite être transportée jusqu’à l’endroit où elle sera utilisée ou stockée. Malheureusement, comme le souligne notre rapport, une grande partie du continent ne dispose pas d’une infrastructure de transport suffisante pour accueillir de manière rentable des installations solaires et éoliennes à grande échelle. La mise en place des infrastructures de transport et de stockage nécessaires nécessitera des capitaux importants. »

La plupart des projets de soutien aux pays du Sud global, financés par des institutions internationales comme la Banque Mondiale ou l’Union Européenne, se concentrent plus sur l’installation de parcs photovoltaïques ou éoliens en oubliant, trop souvent, l’adaptation des infrastructures pour le transport et la distribution de l’énergie, là où elle sera consommée.

Face à ça, la tentation de continuer à exploiter les énergies fossiles est grande. Le continent en est une mine d’or encore non exploitée. On estime à 125 milliards de barils (de 159 litres chacun) les réserves de pétrole dans le sous-sol africain, presque dix fois plus que dans toute l’Europe et plus qu’en Russie. À 12 900 milliards de m³, les réserves de gaz avérées font quatre fois la taille des réserves européennes. À quoi s’ajoutent 15 milliards de tonnes de charbon, assez pour couvrir les besoins actuels du continent pendant 70 ans.

Si l’urgence climatique dicte de laisser ces réserves dormir dans les sous-sols sans les exploiter, ce n’est pas l’avis de nombreux gouvernements africains qui estiment que l’Afrique est en droit d’appuyer son développement sur les fossiles, comme le reste du monde l’a fait par le passé. Ainsi, Gabriel Mbaga Obiang Lima, ministre de l’Énergie de Guinée équatoriale, déclarait lors d’une réunion des ministres africains de l’énergie au Cap : « Nous commencerons à parler de transition quand nous aurons atteint le stade de la sécurité énergétique ». Dans la même veine, le président sénégalais, Macky Sall, renchérissait en mai 2023 : « Il serait injuste d’interdire à l’Afrique d’utiliser les ressources naturelles dont elle dispose dans son sous-sol ».

La tentation du fossile en Afrique

Cette tentation du fossile est d’autant plus forte car l’Afrique fait face à une urgence sociale. Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais professeur de l’Université de Columbia, met en avant la récession économique suite à la crise du Covid et à la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, il est normal, selon lui, que les pays africains cherchent d’abord à rencontrer leurs intérêts à court terme… quitte à ce que cela passe par l’exploitation de leurs propres ressources fossiles pour faire face à la pauvreté. Ce qui n’empêche pas, selon lui, une transition vers le renouvelable, là où c’est possible et avec l’implication de la société civile africaine.

Inutile de préciser que ces gisements fossiles intéressent fortement certains investisseurs voulant exploiter au maximum cette filière là où c’est possible et à moindre frais… Et une fois les centrales au gaz ou au pétrole construites, les feront perdurer le plus longtemps possible pour en rentabiliser l’investissement.

Face au risque de voir l’Afrique plonger dans l’exploitation massive du fossile, il devient urgent d’accélérer les investissements afin de développer les infrastructures liées aux énergies renouvelables. Cela doit aussi passer par des prix d’achat de l’électricité produite stables.

Plus d’équité et moins de corruption dans la distribution de l’énergie

Dans beaucoup de pays africains, les délestages pour maintenir une certaine stabilité du réseau se font au détriment  des personnes les plus pauvres. Ainsi, en Afrique du Sud, si globalement les délestages ont fortement diminué grâce à divers programmes de modernisation des centrales existantes, certaines coupures localisées ne concernent que les zones pauvres : les townships, les villages ruraux et les bidonvilles, selon le chercheur Trevor Ngwane de l’université de Johannesburg, coauteur d’une étude sur le « racisme énergétique. » « Cela signifie que les plus pauvres, issus des classes ouvrières, vont souffrir davantage. » Selon lui, « l’accès de cette classe sociale aux ressources énergétiques est aussi précaire qu’il l’était pendant l’apartheid et ce sont les populations noires les plus pauvres qui en sont les premières victimes

D’où l’importance, au-delà des aspects techniques, de mettre en place des mécanismes politiques et juridiques veillant à la non-discrimination pour un accès équitable à l’énergie. Cela passe aussi par un renforcement de la lutte contre la corruption. On sait comme ce point est sensible dans certains pays africains, comme au Nigéria, où des parlementaires comptent enquêter sur la transparence des fonds alloués aux énergies renouvelables, alors que l’accès à l’électricité pour les populations les plus vulnérables ne s’est pas amélioré. « Les inefficacités persistantes dans la production et la fourniture d’électricité contredisent les objectifs de ces investissements substantiels et de ces subventions, qui étaient destinés à renforcer le secteur des énergies renouvelables au Nigeria », explique le président de la Commission des énergies renouvelables Victor Afam Ogene. 

Pour une transition énergétique solidaire

Le soutien aux énergies renouvelables est un outil essentiel pour accomplir la transition énergétique partout dans le monde. C’est encore plus vrai pour les pays les plus pauvres, comme ceux situés en Afrique, à la fois pour des raisons climatiques mais également pour soutenir des droits essentiels tels que ceux d’accès à la santé, à la sécurité, à l’éducation… La bonne nouvelle est que, malgré les divergences des pays participants, la COP 28 de Dubaï s’était conclue par un accord sur la transition vers la sortie des énergies fossiles tout en appelant à tripler la capacité mondiale d’énergie renouvelable. Reste à voir si la COP 29 pourra relever le défi de soutenir une transition énergétique équitable et solidaire. Et si les pays les plus riches respecteront leur promesse de soutenir les pays les plus pauvres.