Notre société sera-telle capable de freiner sa boulimie énergétique ? L’urgence climatique nous y pousse. Mais le déclin pétrolier imminent nous l’imposera peut-être plus rapidement encore. Comment vivrons-nous ces profonds changements d’habitudes ? Et avec quels impacts sur nos libertés individuelles ?
Annoncé depuis si longtemps, le pic pétrolier semble avoir été relégué dans le débat public au statut de mythe. Ne pas le prendre en considération permet de nous maintenir dans l’illusion d’une croissance économique potentiellement infinie.
Or l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans son dernier rapport annuel (World Energy Outlook 2018), nous ramène soudainement à cette réalité : La production mondiale de pétrole conventionnel a bien atteint un pic en 2008 et n’a cessé de décliner depuis lors.
Seule l’arrivée des productions de pétrole non-conventionnel (schiste) a permis de continuer à répondre à la demande. Le sursis s’annonce très court. Selon l’AIE, il faudrait multiplier par 2 ou 3 les extractions de pétrole de schiste d’ici 2025 pour maintenir le marché à l’équilibre.
Mais aux Etats-Unis – premier producteur de pétrole de schiste -, les exploitants perdent surtout de l’argent depuis 10 ans et les analystes s’attendent à un crash de ce secteur. Voilà qui ne permet pas d’envisager sereinement une production 2 à 3 fois plus importante d’ici 2025 (lire cette analyse de Matthieu Auzanneau sur le blog du journal Le Monde consacré à l’économie et l’écologie).
Bref, nos sociétés qui carburent au pétrole seront plus que probablement forcées de réduire leurs consommations, plus ou moins rapidement selon leurs capacités à acheter une ressource qui deviendra de plus en plus rare et donc de plus en plus chère.
Pour certains pays, ce sevrage risque même d’être brutal. Les territoires qui résisteront le mieux sont ceux qui seront profondément engagés dans une transition (sobriété énergétique, énergies renouvelables, production locale bio, etc.). A propos d’effondrement et de résilience, lire notre article Territoires et climat : la transition sera d’abord culturelle !
Couvre-feu thermique et réquisition des jardins
Or, à l’urgence de nous préparer à un monde sans pétrole, vient s’ajouter celle de la lutte contre le réchauffement climatique.
Ces deux contextes imposeront rapidement des contraintes très fortes à notre actuelle boulimie énergétique. Des mesures drastiques devront alors être prises et induiront de profondes modifications de nos comportements. Comment vivrons-nous ces changements sociétaux ?
En septembre 2018, à l’appel de l’actrice Juliette Binoche et de l’astro-physicien Aurélien Barrau, plus de 200 personnalités invitaient notamment les représentants politiques à prendre des mesures « impopulaires et coercitives s’opposant à nos libertés individuelles ».
Des philosophes et sociologues comme Dominique Bourg et Bruno Latour intègrent cette réflexion dans leurs travaux sur les manières de penser la politique au 21ème siècle pour répondre à ces enjeux.
Et des revendications apparaissent en ce sens au sein des mouvements citoyens actuellement à l’œuvre. Ainsi, lors d’un débat radiophonique sur les ondes de La Première en marge du sixième jeudi de mobilisation estudiantine, la jeune rhétoricienne namuroise Adélaïde Charlier déclarait face à la ministre bruxelloise de l’Energie Céline Frémault : « Je pense qu’il faut nous mettre des limites ».
Alors, quelles mesures nous imposer pour un monde sans pétrole et un climat stable ?
Dans un rapport publié récemment, le cabinet B&L Evolution a détaillé l’ampleur des mesures à mettre en place en France pour limiter le réchauffement climatique à + 1,5°C, en s’appuyant sur le scénario proposé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) d’octobre 2018 – comme l’explique le site Novethic.
Voici ci-dessous une infographie très percutante – réalisée par Novethic – qui donne à réfléchir. Elle a le mérite de proposer des mesures concrètes : couvre-feu thermique dans les logements, réquisition des jardins cultivables, interdiction des avions long-courriers, interdiction de vendre des véhicules neufs à usage particulier, … Voilà un programme qui semble actuellement difficile à défendre pour un représentant politique face à ses potentiels électeurs. Mais ce type de travaux nous fait prendre conscience de l’ampleur du défi sociétal auquel nous faisons face.
Car, outre leur vraisemblable impopularité, la mise en place de telles mesures de rationnement pose évidemment de nombreuses questions en matière de démocratie, d’inégalités sociales et d’atteinte aux libertés individuelles.
Mais il s’agit d’y répondre avant qu’elles ne s’imposent à nous, et ce afin de tenter un atterrissage collectif en douceur, vecteur de plus de lien social et de bien-être.