Datas centers : vers des solutions locales et renouvelables ?

Les centres de données numériques, très énergivores, s’intègrent désormais dans des solutions locales : micro-réseau, énergies renouvelables, flexibilité, stockage, récupération de chaleur, … Voici comment le numérique peut servir la transition énergétique.

Le secteur numérique représente déjà environ 4% de la consommation mondiale d’énergie primaire et 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que le transport aérien. Une tendance qui pourrait fortement s’amplifier avec le développement effréné de la 5G, des objets connectés et des nouveaux services en ligne – Cloud, edge computing, … (lire notre article Oui, la sobriété numérique est possible et souhaitable).

Au niveau des infrastructures, les serveurs, réseaux et terminaux se partagent à parts plus ou moins égales la consommation énergétique.

Mais ce sont souvent les centres de données numériques (data centers) qui focalisent l’attention, pour leurs impacts mais aussi comme solutions énergétiques.

Ces centres informatiques – petits, grands ou hyperscale (c-à-d supérieurs à 10.000 m2) – réunissent parfois plusieurs milliers de serveurs, qu’il faut refroidir en permanence. Le système de refroidissement représente ainsi souvent 50% de la consommation électrique d’un data center.

De plus, ces centres sont équipés de salles de batteries et de générateurs de secours alimentés au fioul, pour un usage très rare (parfois quelques minutes par an).

Enfin, une étude de l’institut Uptime sur les data centers nord-américains a révélé que 30% des serveurs de ces salles machines sont comateux c-à-d alimentés en électricité mais ne délivrant aucun service utile.

Bref, ces infrastructures dormantes et surdimensionnées pourraient rendre de meilleurs services à la collectivité.

Une étude de l’ADEME – l’agence française de la transition écologique – s’est penchée sur la question et montre que des initiatives – exploratoires ou opérationnelles – permettent de mettre ces centres de données au service de la transition énergétique (lire l’étude L’Impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires).

Nous aborderons ici la question des réseaux électriques puis la récupération de chaleur.

Energies renouvelables, micro-réseaux et flexibilité

Pour réduire l’empreinte environnementale des centres de données numériques, les experts de l’ADEME proposent en premier lieu de développer la production d’énergies renouvelables sur les sites.

Certains acteurs – comme Google – ont compris l’intérêt d’investir dans des productions d’électricité renouvelable, désormais plus compétitives que les énergies fossiles. En Belgique, Google a ainsi équipé son site de Saint-Ghislain de 10.000 panneaux photovoltaïques, produisant quasi 3 GWh par an et couvrant ainsi une partie de la consommation électrique de ses datas centers belges.

L’ADEME propose ensuite d’intégrer les infrastructures dormantes des datas centers dans les systèmes énergétiques locaux.

Il s’agit de repérer, mobiliser et mutualiser les générateurs d’urgence et de les transformer en unités de production alimentées par des sources diversifiées et décarbonées : biogaz, biomasse, …

Suivant les expériences de Portland et New-York, les développeurs peuvent créer des micro-réseaux électriques selon les principes du smart grid : les générateurs de secours sont utilisés par la compagnie électrique locale et rebascule sur la nano grid du bâtiment en cas de problème d’alimentation. Ces micro-réseaux peuvent ensuite être interconnectés à différentes échelles : bâtiment, îlot, quartier, ville, territoire ; formant une sorte de mécano énergétique de solidarité territoriale. Ce modèle favoriserait les datas centers de proximité, loin du gigantisme des hyperscale ultracentralisés.

Selon l’ADEME, les centres de données numériques peuvent également devenir un levier majeur de stockage par batteries et de flexibilité énergétique, au service d’une intégration plus large des énergies renouvelables dans le réseau électrique.

Enfin, diverses initiatives publiques et citoyennes – en France et en Catalogne notamment – pour un service internet décentralisé, libre et durable montrent que la transition numérique peut se faire au service de la collectivité.

Le microgrid de la station incendie de Portland permet de stocker l’énergie solaire et de faire fonctionner les ordinateurs et équipements informatiques locaux, indépendamment du réseau électrique national.

Chaudières numériques

Voyons à présent la question de la chaleur dégagée par les serveurs informatiques (chaleur perdue, dite “fatale”).

Partout dans le monde, des projets locaux cherchent à la valoriser.

En France, plusieurs réalisations permettent de chauffer des logements, bureaux ou espaces logistiques à proximité des datas centers. La piscine de la Butte-aux-Cailles (Paris 13) est par exemple chauffée à 30% par six chaudières numériques de la société grenobloise Stimergy, spécialisée dans ce type de valorisation.

Ces serveurs sont plongés dans un liquide caloporteur qui en récupère la totalité des calories. Puis, par un jeu d’échangeurs, les calories sont transportées et stockées dans un ballon tampon. Lors du puisage d’eau chaude, l’eau préchauffée dans le ballon rejoint le circuit de chauffage et de distribution d’eau chaude standard du bâtiment.

Les serveurs sont intégrés dans la chaudière numérique. 

Autre exemple : L’entreprise Qarnot a déployé plus de 800 radiateurs numériques dans des bâtiments en France : logements sociaux, bureaux, école, … Qarnot va alors vendre des capacités de calculs à ses clients. Les calculs seront faits directement dans les logements, permettant ainsi de chauffer à faible coût. Ce système permet de remplir pleinement les besoins de chauffages des habitants et la facture de chauffage est payée par les clients de la plateforme de calcul.

Les radiateurs-ordinateurs vont directement chauffer la pièce. 

Réseaux de chaleur

Des projets de plus grande envergure visent à valoriser la chaleur fatale dans des réseaux de chaleur.

L’étude de l’ADEME montre à la fois le grand potentiel et les difficultés opérationnelles.

A Paris, le chauffage urbain du nouveau quartier Chapelle internationale est en cours de réalisation. Avec 50 % d’énergies renouvelables, tous les bâtiments du site seront alimentés en eau chaude (en circuit fermé). Le fonctionnement de la chaufferie est assuré par une centrale au biogaz. Il valorisera également la chaleur du nouveau data center de la Ville.

Un projet similaire est en cours à Paris-Saclay ; tandis qu’à Toulouse le réseau Plaine Campus valorise notamment la chaleur des milliers de supercalculateurs du Centre de Recherche de l’Espace (illustration ci-dessous).

Les principes de la récupération de chaleur d’un data center. Illustration : Dalkia, partenaire du projet Plaine Campus à Toulouse.

La Suède développe également une véritable stratégie en la matière à travers son programme Stockholm data parks ( https://stockholmdataparks.com/), qui oriente la localisation des data centers, en exigeant la récupération de leur chaleur excédentaire.

Le pays leur offre :

  • une électricité renouvelable à des tarifs négociés ;
  • la connexion à la fibre au bâtiment ;
  • des démarches rapides et accompagnées (autorisations) ;
  • l’utilisation gratuite du réseau de froid de la ville.

Cela en échange :

  • d’une contribution au système énergétique local via des équipements mutualisés de récupération de chaleur également mis à disposition, quand le data center est chargé à plus de 10 MW.

Ce programme doit permettre à Stockholm de devenir neutre en carbone d’ici 2040.

A Stockholm, le réseau de chaleur couvre plus de 80% des besoins de chauffage. D’ici 2030, la ville compte remplacer les 10% d’énergies fossiles de son mix énergétique par la récupération de chaleur, notamment celle des datas centers.