Et si les data centers servaient de chauffe-eau ? C’est le pari lancé par la start-up LEVV, en proposant un modèle innovant qui maximise la récupération de chaleur fatale pour la valoriser localement.
Les data centers sont des infrastructures abritant des serveurs et d’autres équipements informatiques utilisés pour proposer de la puissance de calcul et du stockage aux entreprises du secteur numérique.
Ces centres de données consomment une quantité importante d’électricité (3 % de la demande d’électricité de l’UE en 2024) et fonctionnent en continu. Une partie de celle-ci est utilisée par les serveurs, l’autre est destinée au refroidissement et à d’autres systèmes auxiliaires (éclairage, sécurité, etc.). L’électricité utilisée pour les serveurs est totalement dissipée sous forme de chaleur, qui doit être évacuée pour ne pas détériorer le matériel. Pour refroidir ces systèmes, plusieurs procédés peuvent être utilisés :
- Le plus populaire, ancien et énergivore d’entre eux : la climatisation. L’air, refroidi par des unités de climatisation, circule entre les racks (étagères) de serveurs.
- Il y a ensuite le «free cooling », qui consiste à faire circuler de l’air extérieur plus frais sans système de refroidissement, principalement utilisé dans les pays nordiques.
- Plus récente, il existe une technologie qui consiste à immerger les serveurs dans un liquide caloporteur (qui transporte la chaleur), une méthode qui se veut plus efficace que les deux premières.
- Enfin, il existe également le « Direct Liquid Cooling », qui consiste à faire circuler un liquide (eau) dans un réseau de tuyaux directement en contact avec les points chauds des serveurs.
La plupart des data centers en Europe sont construits en dehors des villes, dans des régions au climat tempéré ou nordique, afin de réduire les besoins en énergie pour leur refroidissement qui représentent 40% de leur consommation électrique. Celui-ci constitue un enjeu environnemental, mais aussi économique pour les gestionnaires de ces centres, leur compétitivité dépendant en grande partie de leur facture énergétique.
Valoriser la chaleur fatale des data centers
A Bruxelles, la start-up LEVV fournit des services de cloud tout en valorisant localement la chaleur fatale des data centers qu’elle installe. Comment ? En concevant un modèle innovant basé sur la technique d’immersion. Les serveurs sont plongés dans un bain d’huile qui récupère la chaleur fatale et la transporte vers un échangeur de chaleur, lui-même connecté à un réseau de chauffage domestique ou urbain. L’huile en ressort à une température moyenne de 50°C, idéale pour servir de complément pour l’eau chaude sanitaire (nécessitant un appoint).
Cette solution a un double avantage : l’efficacité et la densité. Contrairement aux centres refroidis par l’air, qui nécessitent plus d’espace, cette technologie permet de concentrer davantage les serveurs, ce qui rend possible leur installation dans de petits espaces.
La performance estimée de ce système pour évacuer la chaleur est supérieure à celle d’un refroidissement classique, ce qui permettrait de réduire le PUE (Power Usage Effectiveness), un indicateur de performance utilisé par les gestionnaires de data centers. Le PUE est le ratio entre la consommation totale d’un centre et celle des seuls serveurs. Avec ce type de système, il est possible d’atteindre des ratios proches de 1,3 dans certains pays, bien que la moyenne européenne soit encore autour de 1,5 à 2.
Cependant, des inconvénients existent, notamment une maintenance plus complexe lorsque les serveurs doivent être remplacés, et un coût CAPEX plus élevé.
LEVV sensibilise ses clients à la performance environnementale des data centers qu’elle propose, en monitorant à la fois la consommation d’électricité et la production de chaleur fatale utilisée localement. L’objectif est d’améliorer l’efficacité en évitant la sous-utilisation des serveurs, qui, même peu sollicités, consomment toujours une certaine quantité d’électricité.
Un projet pilote à Bruxelles
Depuis 1 an, le système est testé dans un immeuble de 160 appartements. Le data center n’est pas plus grand qu’un frigo, et consomme en moyenne 2kW en continu. La consommation peut diminuer ou augmenter en fonction du taux d’utilisation des applications, mais la chaleur reste globalement constante (un peu moins de 2kW).
Ce projet est dimensionné pour réduire la consommation en eau chaude sanitaire de l’immeuble, pratiquement constante tout au long de l’année. Pour cela, le système est relié à un ballon tampon de 500l pour répondre aux demandes variables. La consommation énergétique du data center peut représenter 15 à 18 MWh/an et celle-ci est entièrement prise en charge par LEVV sur un compteur séparé. Ils ne sont donc pas tributaires de travaux techniques sur le bâtiment, le centre de données fonctionnant en permanence.
Si le projet était répliqué ailleurs à Bruxelles, cela se fera toujours pour des domaines d’application pertinents tel que des immeubles de logement pour les besoins en eau chaude sanitaire, des piscines, ou certaines PME ayant des besoins en chaleur constant durant l’année. En effet la chaleur doit être évacuée, un dimensionnement répondant aux besoins en chauffage pour des logements provoquerait des surchauffes néfastes en été pour le système, il faudra prévoir des auxiliaires de refroidissement en plus.
La taille des systèmes que LEVV envisage à terme de développer ne dépasserait pas 25kW, ce qui est bien loin des 1GW de centre de donnée qu’opère les « GAFAM » un peu partout dans le monde, ou encore les 30 MW des projets que l’on peut retrouver en Belgique.
Optimiser l’utilisation des data centers
L’un des enjeux pour les gestionnaires de ces centres de données, est de réduire au plus les coûts issus de la consommation d’électricité par unité de calcul ou par octet stocké, pour cela il est nécessaire d’utiliser au maximum les capacités de chaque centre (taux de charge des serveurs). Plus ils sont sous utilisés, plus l’énergie nécessaire au refroidissement et aux équipements auxiliaires auront une forte consommation par service rendu. Il y a donc un travail d’optimisation derrière tout cela, et LEVV veille à ce que ses « frigos » soient bien remplis.
L’impact environnemental des data centers
En 2018, ils représentaient 14% de l’impact CO2 du secteur du numérique qui lui-même représente 4% des émissions mondiales avec un taux de croissance de 6%. La consommation électrique des data centers de l’UE était de 80 TWh, soit un peu moins que le total de celle de la Belgique. Avec le développement rapide de l’IA, celle-ci est amenée à doubler ou tripler d’ici 2030 selon les estimations de la commission européenne. Cette dernière a adopté le 14 mars 2024 un nouveau règlement , celui-ci exige que les exploitants communiquent la performance énergétique et la durabilité de leurs data centers. Ce reporting permettra de faire respecter certaines obligations comme valoriser la chaleur fatale pour toutes les unités de plus de 1 MW, monitorer la consommation d’eau, etc.
N’oublions pas non plus le problème de l’artificialisation des sols, les possibles fuites de gaz réfrigérant utilisés dans les unités de climatisation, et la consommation de l’eau, des ressources minérales, fossiles et métalliques.
La valorisation locale de la chaleur fatale produite est donc une des solutions pour atténuer l’impact des data centers, mais celle-ci ne devra pas être la seule.