On présente souvent les pays du Sud global uniquement comme des victimes des changements climatiques. Pourtant, ces populations ont réussi à développer des solutions créatives.
Sans beaucoup de moyens et bien loin des solutions high tech en vogue chez les pays plus riches, elles ont trouvé des solutions résilientes, adaptées au contexte local, qui pourraient inspirer d’autres nations.
Dans cette première partie des trois consacrées à la thématique, nous nous intéressons aux savoir-faire traditionnels des peuples autochtones, souvent méconnus et pourtant très utiles en matière de résilience.
Confrontés depuis longtemps aux phénomènes climatiques extrêmes, les peuples autochtones ont développé, au fil du temps, des savoir-faire qui se sont avérés très utiles pour leur adaptation. Comme le dit le PNUD, l’agence de l’ONU dédiée au développement, grâce à leurs connaissances écologiques, qui sont intergénérationnelles et communautaires, les peuples autochtones ont été parmi les premiers à remarquer les prémices du changement climatique.
Aujourd’hui plus que jamais, alors que la crise climatique s’aggrave, leurs connaissances et leurs pratiques sont une excellente source de solutions climatiques constructives qui peuvent faire progresser les efforts d’atténuation, améliorer les stratégies d’adaptation et renforcer la résilience. Elles peuvent également compléter les données scientifiques par des informations précises sur le paysage, qui sont essentielles à l’évaluation des scénarios de changement climatique. En effet, les peuples autochtones gèrent environ 25% des terres du monde, qui renferment une grande partie de la biodiversité planétaire et du carbone stocké dans le sol et la biomasse. Et plusieurs études ont démontré que de nombreuses forêts et d’autres écosystèmes situés dans des zones gérées par les peuples autochtones sont en meilleure santé que les espaces naturels situés en dehors de ces zones.
Voici quelques exemples de réponses trouvées, par ces populations, au dérèglement climatique :
Au Mali et au Burkina Faso, des peuples autochtones ont élaboré des systèmes agroforestiers sophistiqués au fil des siècles. Ces systèmes, dans lesquels les cultures coexistent avec les arbres, contribuent à réduire l’érosion et à améliorer la fertilité des sols. La diversité des cultures diminue le risque d’une perte totale de celles-ci en cas de phénomènes climatiques violents.
Mexique
La milpa, une technique agricole traditionnelle des autochtones mayas en Amérique centrale et dans le sud du Mexique, est un modèle durable reposant sur une rotation de parcelles cultivées à l’intérieur d’une zone forestière.
Au Costa Rica, et plus particulièrement dans la région de Talamanca, une association promeut l’utilisation des pratiques et des connaissances ancestrales à des fins de sécurité alimentaire et médicinales. Ainsi, ils améliorent également le leadership des femmes et les droits des autochtones tout en protégeant la forêt environnante. Face à la pandémie de coronavirus, le groupe a rapidement mis en place un marché virtuel sur les réseaux sociaux pour échanger et partager de la nourriture pendant la fermeture des marchés réguliers. L’association forme également les femmes à l’agroforesterie rotative et régénératrice, et encourage l’utilisation de variétés de semences indigènes locales et de plantes médicinales traditionnelles, améliorant ainsi la résilience des communautés face au réchauffement climatique.
En Colombie, le peuple Wayúu cultive depuis des générations le haricot guajiro, une espèce qui résiste au climat chaud et sec du département de La Guajira. Au fil des siècles, les femmes Wayúu ont réussi à conserver les graines, même pendant les périodes difficiles comme les sécheresses ou les inondations. Avec le changement climatique, le peuple Wayúu a augmenté son rythme de plantation et a installé des réservoirs d’eau. Cette résilience leur permet de maintenir un approvisionnement alimentaire constant malgré des conditions météorologiques imprévisibles. Toute la communauté participe activement à ce processus, la famille et les voisins se réunissant pour planter et cultiver les haricots.
Au Sud de l’Inde, dans la réserve de Nilgiri, dans les Ghâts occidentaux, un collectif de producteurs autochtones perpétuent la tradition de collecte et de production de produits forestiers non ligneux, tels que le miel, l’amla, les noix de savon et les baies. Ce travail contribue à assurer la gestion des précieuses ressources de la réserve ainsi qu’à soutenir les moyens de subsistance de leurs communautés. Par exemple, les rituels et les méthodes traditionnelles des « chasseurs de miel » locaux et le marquage des ruches d’abeilles sauvages permettent d’éviter la surexploitation de ces dernières et de maintenir les colonies d’abeilles. Ces pratiques sont essentielles pour une biodiversité florissante.
Ces deux exemples montrent comment ces peuples ont inventé des formes d’économie circulaire, axées sur des approches holistiques, dans lesquelles un processus ou une action alimente un autre, favorisant la résilience, la réciprocité et le respect entre les personnes et la nature.
Les Philippines subissent environ vingt tempêtes ou cyclones majeurs chaque année, survenant pour la plus grande partie durant la saison des pluies. Dans une vaste zone marécageuse de l’île de Mindanao, la communauté indigène manobo construit ses habitations sur des plateformes de bois pour qu’elles suivent les variations du niveau de l’eau. Ces infrastructures sont le fruit d’une méthode ancestrale. À travers le temps, ces plateformes ont su résister aux typhons autant qu’aux inondations. Une pratique qui suscite l’intérêt, alors que tempêtes, inondations et météo imprévisible se banalisent. Francisca Mejia, architecte philippine et chercheuse en urbanisme aux Pays-Bas, est persuadée que le monde doit s’inspirer davantage des cultures indigènes telles que celle des Manobos pour aborder la question du changement climatique et de ses conséquences.
Ce ne sont pas tant les matériaux et une technique spécifique qui rendent les maisons flottantes résistantes, mais plutôt la façon fondamentale dont les Manobos et d’autres peuples indigènes des Philippines abordent la conception des bâtiments, en harmonie avec leur environnement. « Les phénomènes climatiques extrêmes tels que les inondations, les tempêtes et maintenant les sécheresses ont également fait évoluer leurs méthodes de construction », explique F. Mejia. « Mais les principes fondamentaux de ces constructions restent les mêmes. Il s’agit notamment de l’utilisation de matériaux locaux renouvelables, d’une structure en bois dynamique et flexible qui se plie et flotte pour s’adapter aux éléments de la nature, ainsi que d’une tradition consistant à concevoir et à créer les maisons ensemble, en tant que communauté », explique-t-elle. Elle décrit comment la structure résultante s’adapte à la nature de plusieurs façons : le toit à forte pente permet à l’eau de s’écouler et de refroidir la maison pendant les mois les plus chauds ; le système flottant signifie que la maison entière monte et descend avec l’eau et peut même être déplacée vers une autre partie du marais si nécessaire ; et pendant les saisons météorologiquement plus stables, les habitants relient leurs maisons pour assurer la sécurité de la communauté. En fait, les inventions des communautés indigènes “s’inscrivent dans tout un système de croyances, lié à la préservation de la nature et des terres”, qui tend à honorer l’écosystème qu’elles occupent. Ces communautés célèbrent d’ailleurs toutes les formes de vie, y compris les animaux qu’elles mangent.
Conclusion
Nous pourrions multiplier ce type d’exemples, tant les savoir-faire des peuples autochtones sont riches d’enseignements et de sagesse pour l’humanité. Alors que ces peuples sont de plus en plus confrontés aux pressions exercées par le monde capitaliste, il est urgent de les protéger non seulement au nom des droits humains mais aussi pour sauvegarder ces écosystèmes clés qui agissent comme des puits de carbone et protègent la biodiversité.
Il en va également de la responsabilité historique des pays les plus riches dans le dérèglement climatique alors que ce sont les pays les plus pauvres, ceux du Sud Global, qui en subissent le plus les conséquences.