Les panneaux solaires bifaciaux verticaux offrent certains avantages pour les agriculteurs. Ils ont aussi le grand intérêt de produire en début et fin de journée, lors des pics de consommation d’électricité. D’où leur intérêt pour équilibrer un réseau 100% renouvelables.
Dans un précédent article, nous avions vu qu’installer du photovoltaïque, sur des bâtiments ou des terrains agricoles, permet de combiner deux activités : produire de l’électricité et développer une culture ou un élevage.
Nous en avions conclu que les systèmes photovoltaïques sur des toitures de bâtiments agricoles restaient le meilleur compromis d’un point de vue production et coût d’installation par unité de surface utilisée. En effet, les dépenses d’investissement sont réduites, et l’activité d’élevage est maintenue à l’identique.
Pour l’intégration du photovoltaïque au-dessus des surfaces maraîchères, la nécessité d’espacer les rangées de panneaux engendrait un coût d’installation plus élevé pour une plus faible production par m² de terre cultivée. Dans ce dernier cas, la production de légumes pouvait, suivant la variété, être légèrement réduite par un plus faible percement des rayons solaire sur le sol (lire notre article Agrivoltaïsme : Quelles applications possibles en Belgique ?).
Mais il existe une troisième technique assez particulière, qui commence à se développer dans nos pays voisins : des panneaux bifaciaux verticaux sur des champs agricoles (voir illustration ci-dessus). Cette technique intégrée à l’agriculture possède des avantages et inconvénients que nous expliquons ci-après.
Le bifacial vertical, pour une production électrique décalée dans la journée
La technologie bifaciale permet de produire de l’électricité à partir des deux faces du panneau, ce qui le rend plus performant (voir Photovoltaïque : le bifacial promis à un bel avenir.).
Cette bifacialité est généralement utilisée pour des projets à structure fixe ou tracking, disposant d’une inclinaison entre 30° et 60° pour garantir une légère production supplémentaire de la face arrière.
Mais dans le cas de l’agrivoltaïsme, les panneaux peuvent être mis à la verticale pour réduire l’emprise des structures sur le sol. Les rangées de panneaux peuvent être espacée de 7 à 15 m entre elles pour réduire l’effet de l’ombrage porté sur les panneaux et permettre aux engins agricoles de manœuvrer sans problème (exemple ci-dessous).
La verticalité de ces panneaux et leur orientation auront une incidence sur la production journalière d’électricité. Si on les oriente face avant (la plus productive) vers l’Est, et la face arrière (moins productive) ver l’Ouest, on verra apparaître deux pics de production journalière.
Le premier a lieu en matinée lorsque le soleil se retrouve perpendiculaire au panneau, et le second en fin d’après midi sur l’autre face (voir schéma ci-dessous).
Certes, la puissance atteinte par chacune des faces sera réduite par rapport à la puissance nominale du panneau en condition optimal (incliné à 35° plein sud), mais sur une journée entière, la quantité d’électricité sera proche des condition optimales (-5 à -10% de perte en Belgique par rapport à un panneau monofacial plein Sud). Et donc, pour une surface occupée moindre, les panneaux verticaux peuvent produire l’équivalent des panneaux monofaciaux.
Une orientation Est-Ouest
Dans le cas d’une orientation Est-Ouest, l’ombrage engendré par les panneaux en matinée et en fin de journée, dû à une faible inclinaison du soleil au moment où celui-ci est perpendiculaire aux panneaux, nécessite d’espacer les rangées de 15m suivant la hauteur des systèmes. Ce qui réduit la densité de production par unité de surface, mais privilégie l’exploitation agricole des terres.
Si l’on dispose d’un hectare de terrain, on aura ainsi plus de production avec une installation dite en terrasse que en bifacial vertical. Mais dans un contexte où le terrain possède une valeur agricole, la bifacialité verticale donne un avantage sur les centrales solaires au sol car l’activité agricole est maintenue.
Cette configuration permet également de créer un pic de production plus en phase avec la demande d’électricité qui a lieu en fin de journée.
Une orientation Nord-sud
Un même panneau vertical orienté Nord-Sud (face avant Sud, face arrière Nord) produira moins d’électricité sur une journée, mais l’effet d’ombre portée étant moindre, dû au soleil très haut à midi, les rangées peuvent être rapprochées jusqu’à 7 m pour densifier la production.
Cette configuration n’élargit pas la période de production journalière et aurait tendance à restreindre l’espace pour la culture. La baisse de la production d’électricité serait donc comblée par une densification plus importante des panneaux, ce qui limite cependant le charroi agricole. Ce type de configuration s’acclimate donc bien avec des espaces demandant peu d’envergure pour les engins agricoles.
Savoir si l’une des orientations est plus productive que l’autre, demande l’utilisation d’un outil de simulation qui permettra de comparer les gains des deux systèmes.
Et si les sillons des champs ne sont pas dans ces orientations là ?
Généralement, les panneaux sont orientés suivant les sillons des champs cultivés. De cette manière, le cultivateur peut circuler dans le même sens que son chemin habituel.
Les orientations décrites ci-dessus ne sont donc que très peu rencontrées. On privilègera toujours la face la plus productive (face avant) orientée le plus vers le Sud, pour ainsi augmenter les gains totaux de production. En effet, la face qui produit moins d’électricité (face arrière) sera moins impactée par une orientation plus défavorable au Nord. En d’autres termes, les panneaux peuvent être orientés Sud-Est (face avant) et Nord-Ouest ( face arrière).
Diversifier l’orientation des panneaux
Comment choisir l’orientation des panneaux et donc les moments de production ? Dans le cas d’un agriculteur, il est plus intéressant de cibler les heures où la production solaire est revalorisée à un bon prix, afin de la revendre à son fournisseur avec un bénéfice.
La pointe de demande en électricité est généralement localisée en fin d’après midi et début de soirée, lorsque les ménages rentrent chez eux et comment à consommer, cuisiner, etc. Ce contexte laisse à penser qu’une orientation avec la face avant vers l’Ouest (ou Sud-Ouest) peut être plus favorable pour produire lors de ce pic de consommation, revendre l’électricité solaire au meilleur prix et participer à l’équilibre du réseau.
En 2030, la production photovoltaïque sera beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, or nous voyons déjà, certains jours, des prix de l’électricité qui deviennent négatifs en période de surproduction solaire (à midi) dû à une orientation majoritairement plein Sud. Diversifier l’orientation des panneaux grâce aux panneaux bifaciaux verticaux permettra de lisser les pics de production sur une plus longue période (voir schéma ci-dessous).
Qu’en est-il de la structure de ces panneaux ?
Il y a un bon compromis à trouver entre la hauteur de la structure et le rendement de production agricole.
Généralement, on essayera de garder une hauteur libre (sans obstacle pour la lumière) de 1 m au sol, cela permet de laisser passer les rayons lumineux sous le premier panneau, et atteindre ainsi les plantes situées derrière, ou bien d’être réfléchis sur le sol pour atteindre les panneaux de la rangée suivante. C’est donc à partir de cette hauteur que l’on vient placer le premier panneau. Les structures sont composées de deux étages de panneaux pour maximiser la production sur l’espace utilisé (voir illustration ci-dessous).
Pourquoi ne pas ajouter un troisième étage ?
Il est normal que la hauteur ne doive pas excéder les 3 m (1 m de hauteur libre + 2 x 1 m de panneaux), ce qui permet à la structure :
- de réduire son impact visuel sur l’environnement ;
- de ne pas être surdimensionnée pour résister aux efforts de vents (les premières rangées de panneaux sont les plus sensibles et résistent très mal à la flexion et à la torsion, au-delà le vent se trouve être ralenti).
- de réduire le temps de montage des structures, ce qui évite un coût d’investissement plus élevé car la part de la main d’œuvre est non négligeable dans le prix d’installation.
De plus, cette hauteur conditionne l’espace requis entre les rangées de panneaux pour limiter l’effet d’ombrage porté. Comme nous l’avons vu plus haut, suivant l’orientation des panneaux, un espace de 7 à 15 m peut-être demandé, influençant la production par unité de surface (kWh/m²).
Et qu’en est-il de la production agricole ?
Suivant les retours d’expériences des projets déjà en cours d’exploitation, le sol reçoit en moyenne 90% de l’irradiation solaire qu’il aurait dû recevoir sur une année idéale.
Or on peut déjà dire que, d’une année à l’autre, la présence de soleil peut tout à fait varier. Moins de rayons signifierait une légère perte de rendement de culture, comblée par un apport de production électrique plus important. Nous pourrions également dire que cette réduction de lumière n’apparaît qu’à certains moment de la journée, et reste presque nulle en été lorsque le soleil est au plus haut.
De futurs tests permettront de déterminer les catégories de cultures qui seraient les plus adaptées à ce type de système. Sachant que les champs ne sont pas cultivés durant l’entièreté de l’année, les panneaux seraient moins atteints par l’ombrage des plantes en période de labourage et après la récolte des cultures. Inversement, les cultures ayant lieu bien souvent du printemps à fin de l’été, le soleil est au plus haut, ce qui limite la présence d’ombre sur les champs.
Pour mettre en place des rangées de panneaux comme celles-ci, 50 cm² d’emprise au sol sont nécessaires par mètre de rangée. La perte de surface agricole est donc à étudier par rapport au revenu issu de la production d’électricité.
A titre de comparaison, entre un champs qui dispose d’une installation dite en « terrasse » (centrale solaire au sol), occupant toute la surface au sol avec un inclinaison de 20° plein Sud (pas de culture possible), les panneaux bifaciaux verticaux espacés de 15 m en rangée produiront 1/3 d’électricité en moins, mais pour une surface toujours cultivable.
Les panneaux peuvent également avoir une autre vocation, comme délimiter un périmètre dans lequel se trouve l’élevage (comme nous le voyons sur l’image ci-dessous).
Quel impact sur le foncier ?
Dans notre précédent article sur l’agrivoltaïsme, nous avions vu qu’un ratio foncier peut être utilisé pour déterminer la valeur foncière ajoutée à la surface de culture grâce à la production d’électricité.
Ce ratio dépend de la valorisation monétaire de chaque surface cultivée et de la production d’électricité qui peut en être tirée. Si le m² de culture est plus intéressant économiquement pour le cultivateur, la production d’électricité devra être dimensionnée en conséquence pour maximiser le rendement agricole. Le revenu supplémentaire issu de la vente d’électricité permettra d’ajouter une valeur supplémentaire au m² que peut apporter le champ par rapport à un terrain qui n’est pas équipé de panneaux.
L’impact d’une telle structure et la pression foncière pour un agriculteur sont deux questions qui mènent à un débat. Les agriculteurs belges, suivant les régions de notre pays, ne sont pas toujours propriétaires des terres agricoles. Les promoteurs de projets photovoltaïques en quête de terrains bien exposés et peu dégradés, cherchent à trouver un compromis avec les propriétaires pour louer les parcelles de terres en vue d’y produire de l’électricité. Dans ce cas, avec des panneaux bifaciaux verticaux, la culture ne serait réduite que sur un faible pourcentage pour le cultivateur. Le bailleur peut ainsi percevoir un revenu supplémentaire grâce à la location de sa terre au promoteur d’énergie, mais aussi grâce à l’exploitation de sa terre par le cultivateur. Si les revenus dégagés par ces deux locations permettent au bailleur de réduire la valeur locative des terrains pour les agriculteurs, tout le monde pourrait en sortir gagnant.
En France, les cahiers des charges pour les appels d’offre en vue d’installer de grandes centrales solaires, accordent un bonus si le terrain utilisé est jugé « dégradé ». Ainsi, on encourage les promoteurs à étudier en priorité l’utilisation des terrains pollués par une activité passée, ou bien peu accessibles pour y construire des habitations. Mais le coût d’installation sur ces terrains dégradés (dépollution, montage plus complexe) ne fait pas bondir les promoteurs sur cette niche de marché. Il est moins cher d’équiper une surface horizontale propre qu’un talus abandonné.
En Allemagne, les projets photovoltaïques utilisant des panneaux verticaux seraient installés sur des terrains « délaissés », jugés non favorables à l’agriculture. Un tiers de la surface agricole allemande serait concerné.
Suivant cela, nous imaginons que ce type d’installation aurait son sens sur des terres en jachère, où le revenu de la location aurait peu de conflit avec l’activité agricole. Mais dans notre petit pays, les installations renouvelable seraient un élément supplémentaire à la pression foncière déjà occasionnée par les autres secteurs d’activité.
Une entreprise belge déjà très prometteuse
L’enjeu aujourd’hui dans le développement du bifacial vertical, que ce soit pour une implantation en terre agricole ou sur une zone abandonnée, est de déterminer avec précision la production d’électricité du système, qui dépend énormément des rayonnements diffus et réfléchis. Et pour cela, LuciSun, une entreprise belge experte dans la simulation de production photovoltaïque, s’est penchée depuis quelques années sur la technologie bifaciale. Elle a développé une interface 3D, utilisant les mêmes bibliothèques de calcul qui furent utilisées pour les jeux vidéo. Elles construisent les maquettes comme des jeux vidéo pour en déterminer la production solaire avec une précision qui dépasse les autres simulateurs du marché.
L’image ci-dessus nous montre le comportement de la production des cellules sur la face arrière des panneaux, en fonction de la position du soleil et de la réflexion des rayons sur le sol. Plus les couleurs sont bleues, moins les cellules produisent grâce aux rayons réfléchis. On peut ainsi voir que lorsque le soleil se situe derrière la rangée de panneaux (image de gauche), ce sont les cellules du bas qui reçoivent une plus grande part du rayonnement réfléchi provenant du sol, au contraire de l’image de droite lorsque le soleil est de l’autre côté des panneaux, où ce sont les cellules supérieures qui en bénéficient.
Quels avantages en Belgique ?
Le développement du bifacial vertical en Belgique présenterait quelques avantages :
- Création de deux pics de production plus en phase avec les pics de demande d’électricité.
- Le bifacial donne des performances intéressantes comparé aux panneaux traditionnels. Dans un système vertical, la production journalière est compétitive avec un panneau classique grâce à la présence de nuages en Belgique, qui augmentent le rayonnement diffus.
- L’utilisation de terres peu valorisables par l’agriculteur ou le bailleur en vue d’y implanter du bifacial vertical permettrait d’apporter un revenu supplémentaire à l’exploitant, tout en maintenant son utilisation en jachère.
- Le léger surcoût de la bifacialité peut être compensé par une meilleure valorisation de l’électricité lorsque celle-ci est la plus demandée.
- Des garanties pour le démantèlement des installations en fin de vie peuvent être demandées par la Région en cas de faillite du promoteur, protégeant ainsi le propriétaire des terres d’un surcoût.
Mais aussi quelques inconvénients
Les principaux inconvénients sont :
- L’aspect visuel de ces installations dans une zone naturelle ou agricole risque de nuire au paysage ;
- Les structures demandent parfois plus d’acier pour résister au vent (l’acier résiste très bien à la traction mais moins à la flexion et à la torsion) ;
- Il faut définir un écartement maximal entre les rangées pour trouver un bon compromis entre la densité de production solaire et l’ergonomie pour certaines machines agricoles (un pulvérisateur fait souvent autour de 30 m de largeur).
- Les organismes financiers n’ont pas encore assez confiance en cette technologie, vu le peu d’expériences réalisées ces dernières années, ce qui laisse à prédire un coût d’investissement plus important, et donc un coût actualisé de l’énergie (LCOE) plus grand (les prêteurs utilisent une notion de risque qui fait augmenter les taux d’emprunt) ;
- Les promoteurs de ce genre d’installation doivent proposer des prix de location suffisamment intéressants pour que la perte de culture puisse être compensée par un gain supplémentaire pour l’agriculteur. Il faudrait donc, en cas de dépenses d’investissement importantes, déterminer un subside spécifique à ce genre de projet.
- La régulation de ce type de projet doit être judicieusement suivie par les autorités, pour ne pas risquer de réduire trop drastiquement le nombre de surfaces exploitables, ce qui ferait grimper les prix de location des terres.
En conclusion
L’enjeu aujourd’hui est de prédire judicieusement plusieurs valeurs en phase d’avant projet :
- Les gains sociaux et environnementaux de ce type de système, comparé à une centrale solaire au sol en terrasse ou bien sans installation photovoltaïque ;
- Les productions attendues par ces installations qui sont encore plus complexes à calculer ;
- La perte de production agricole suivant la configuration de l’installation, et l’espace disponible de culture de la région en question.
Le bifacial permet d’augmenter les performances de production, mais demande un terrain propice pour la bifacialité, une hauteur libre et un espace plus important que des systèmes traditionnels. Il peut donc y avoir certains secteurs (non-agricoles) pour lesquels cette technologie pourra très bien s’adapter, et nous verrons cela dans un prochain article.