Face à la crise économique, des acteurs européens plaident pour la relance d’une industrie photovoltaïque en Europe. Or les coopératives et Communautés d’énergie, plus attentives aux critères écologique et social, vont stimuler la fabrication de panneaux solaires en Europe, explique Andre Langwost, Secrétaire Général du European Solar Manufacturing Council (ESMC).
Le secteur photovoltaïque européen est aujourd’hui quasi complètement dépendant de la Chine, principal fabricant de panneaux solaire au monde.
Or la crise économique liée au coronavirus perturbe toute la filière, qui accuse l’arrêt ou les retards de fabrication et d’exportation du marché chinois ; si bien que de nombreux acteurs européens plaident pour la relance d’une industrie solaire en Europe (lire ces articles de Bloomberg et Euractiv).
Ce contexte va-t-il soutenir la renaissance d’une industrie photovoltaïque en Europe, en gestation depuis quelques années ? (lire notre article Bientôt des panneaux solaires « Made in Europe » ?).
Renouvelle a interrogé Andre Langwost (photo ci-dessous), Secrétaire Général du European Solar Manufacturing Council (ESMC), qui œuvre au redéploiement d’une production de panneaux photovoltaïques en Europe.
Selon vous, la crise économique actuelle va-t-elle favoriser la renaissance d’une industrie photovoltaïque en Europe, afin de s’affranchir du marché chinois ?
Tout à fait. On le constate avec les pièces qui n’arrivent plus de Chine. Cette crise est une chance pour l’Europe, pour le Green deal européen. Il faut faire comprendre aux ministres européens de l’économie que notre filière a besoin d’une stratégie commune pour stimuler la fabrication en Europe. Mais surtout pas dans un esprit « contre les panneaux chinois », car le ESMC considère que la concurrence et la coopération stimule le marché.
On a fondamentalement besoin d’une production en Europe pour devenir plus indépendant des produits non européens et, il nous faut une production industrielle en Europe pour y maintenir la recherche et pour y développer des nouvelles technologies compétitives.
Précisément, un marché européen de fabrication peut-il être compétitif face à la Chine ?
Nous devons d’abord regarder l’histoire industrielle de notre filière, pour ne pas répéter les mêmes erreurs. L’Europe disposait il y a encore 10 ans d’une industrie florissantes, qui a perdu plus que 100.000 emplois par suite des défaillances législatives.
Le système des tarifs d’achat, introduit par le législateur allemand il y a toute juste 20 ans, a permis aux développeurs de projets d’avoir des projets « banquable » A partir de là, les tarifs d’achat ont chuté trop rapidement, sans une logique cohérente. Ni une perspective claire pour le développement de cette filière industrielle. Trop vite surtout pour les petites et moyennes entreprises, qui constituent la colonne vertébrale de cette industrie. Donc ce n’était pas un problème de technologie mais de défaillance législative et de financement. L’Europe, à l’époque, ne s’est pas coordonnée pour soutenir cette industrie.
Dans le même temps, la Chine a mené des réformes économiques et a investi dans la filière de manière cohérente et intelligente, avec des garanties et des formules de soutien pour son industrie parfois assez « limite » par rapport aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce.
A l’époque, les acteurs européens ne regardaient trop souvent que les prix d’achat des modules. Après les faillites des producteurs européens, on a aussi vu des fabricants non européens reprendre des usines et des brevets pour une fraction de leur valeur.
Aujourd’hui, on doit réfléchir autrement. Il ne s’agit pas de comparer les prix de vente des panneaux mais plutôt le coût actualisé de l’énergie, le LCOE (Levelized Cost of Energy). On regarde ce que le système photovoltaïque produit comme électricité durant 30 ans, de manière fiable, et on constate que les panneaux européens sont aussi compétitifs que les modèles chinois (voir les analyses de la European Technology & Innovation Platform).
Les appels d’offre européens ne devraient plus se focaliser principalement sur le prix mais sur la valeur « holistique » du projet et sur un calcul de rentabilité sur une longue durée. Ils devraient également intégrer des critères écologique et social, ce qui défavoriserait l’importation de panneaux non-européens. Un peu comme les étiquettes énergétiques que l’on met sur les frigos. Et puis n’oublions pas que, pour beaucoup de produits, les consommateurs sont prêts à payer plus chers si c’est un produit local : Les patates « Bintje » belges se vendent plus facilement en Belgique que la Linda d’Allemagne ! Or nous assistons aujourd’hui à un développement vers la démocratisation énergétique, qui est beaucoup plus sensible à ces critères (consulter le site Energy Democracy et lire notre article Coronavirus : La Démocratie énergétique comme résilience ? ).
Selon vous, la Démocratie énergétique peut stimuler l’émergence d’une industrie photovoltaïque en Europe ?
Tout à fait ! L’énergie, c’est nous, les citoyens ! L’énergie doit aussi revenir vers les communes. C’est dans leur intérêt. Les grands groupes énergétiques ont un autre intérêt dans les territoires.
Imaginons une coopérative locale aux Pays-Bas, non loin de la frontière, et une usine de production de panneaux photovoltaïques en Belgique. La coopérative fera appel à ce fabricant régional pour équiper son territoire en panneaux photovoltaïques, car les coopérateurs veulent des effets positifs au niveau local et régional. Ils sont prêts à payer peut-être un peu plus cher, car, dans cette usine, il y aura leurs voisins, leurs cousins qui y travaillent, donc ils soutiennent l’économie locale. Par ailleurs, les empreintes écologiques et sociales sont plus favorables par rapport à des panneaux importés de loin. Ils feront appel à une entreprise locale car elle crée de l’emplois et des retombées économiques positives pour la communauté.
Comment cette industrie photovoltaïque peut-elle renaître en Europe ? Sur le modèle d’une collaboration industrielle de type Airbus ou plutôt une méga-usine comme celle que la Chine compte construire prochainement ?
Nous devons plutôt créer plusieurs usines, de grandes tailles certes, mais dans les nombreux pays européens déjà actifs. Avec le ESMC, nous avons des membres fondateurs dans un grand nombre de pays : Espagne, France, Italie, Suisse, Norvège, Allemagne, Pays-Bas entre autres et nous discutons aussi avec la Pologne, la Lituanie, la Slovénie, …Il faut une véritable initiative transnationale européenne !
Nos membres ont identifié toutes les compétences nécessaires dans des pays européens, pour couvrir toute la chaîne de valeur. Parfois, les entreprises sont actuellement encore très orientées sur des marchés de niche et ne sont pas encore compétitives sur le marché de l’équipement à grande échelle. Il faut encourager ces entreprises à se structurer au niveau européen et pas uniquement sur des marchés frontaliers.
L’« Airbus de l’énergie », c’était François Hollande, ancien président français, qui a nommé ainsi le 1re projet « XGW-factory » du co-président du ESMC Prof Eicke Weber. Par contre, Airbus se concentre trop autour des grandes puissances : La France et l’Allemagne. Pour le futur système d’énergie, il nous faut un mouvement vraiment européen, qui intègre bien tous les pays de l’espace économique européen qui souhaitent y participer. Au sein du European Solar Manufacturing Council (ESMC), nous souhaitons regrouper les différentes initiatives nationales avec une véritable stratégie européenne.
Nous assistons également à l’émergence de nouvelles technologies photovoltaïques, sur lesquelles les entreprises européennes sont très actives et peuvent construire un développement industriel. Je pense par exemple à l’hétérojonction et aux pérovskites (lire notre article Photovoltaïque : deux innovations qui pourraient tout changer) mais je pense aussi à de jeunes start-up comme l’entreprise Nexwafe et ses cellules “kerfless” (lire notre article Les cellules solaires « kerfless », une technologie à prix inédit).
Quel est le potentiel de cette industrie en Europe ?
Le potentiel est énorme. Toutes les études montrent que le marché européen va largement dépasser 25 GW d’ici 2025. Dans une première étape, nous envisageons une usine de 1 ou 2 GW pour être compétitif. Mais l’Europe va rapidement doubler voire tripler ses installations photovoltaïques, avec un rythme de 30 à 50 GW par an jusqu’en 2030.
L’excellente étude « 100% Renewable Europe » publiée la semaine passée par le LUT avec nos amis de Solar Power Europe prévoit que, d’ici 2050, jusqu’à 63 % de l’électricité en Europe sera produite par le photovoltaïque.
Il faut maintenant, et c’est pour cela qu’on a créé le ESMC, que cela provoque plus de retombées économiques pour l’Europe. Surtout dans les pays les plus touchés par la crise du Coronavirus.
Ce qui nous manque pour l’instant, ce sont des entrepreneurs qui ont l’audace de se lancer. Mais partout où ils se lanceront, des usines de fabrication photovoltaïque se créeront.