La croissance des productions renouvelables nécessite des solutions pour équilibrer le réseau électrique. En Belgique, les batteries et la gestion active de la demande se complètent de mieux en mieux. Explications de Thibault Quetel.
Le cluster TWEED organisait le 23 juin dernier un webinaire qui abordait notamment l’enjeu de la flexibilité et du stockage, en compagnie d’un orateur de référence : Thibault Quetel, Sourcing & Sales Manager chez Centrica Business Solutions (ex-REstore), un agrégateur pionnier en Belgique.
Voilà qui nous donne l’occasion de faire le point sur un enjeu stratégique de la transition énergétique.
Qu’est-ce que la flexibilité ?
Plus on injecte des productions renouvelables dans le réseau, plus celui-ci devient volatil car il s’agit de productions qui varient selon la météo. En cas de déficit de production (absence de vent et/ou de soleil), Elia – gestionnaire du réseau belge haute tension – dispose de deux solutions pour maintenir l’équilibre en temps réel :
- Elia peut faire appel à des centrales de pointe (souvent au gaz) pour générer plus d’électricité durant quelques minutes ou quelques heures ;
- Elia peut également activer de la flexibilité auprès d’industriels, qui vont réduire temporairement leur consommation d’électricité. A titre d’exemple, Arcelor Mittal peut éteindre ou ralentir un four et ainsi réduire sa consommation et alléger le réseau pendant des moments-clefs. De même, un frigoriste industriel peut éteindre ses congélateurs pendant quelques minutes sans pour autant modifier la température des aliments grâce à l’inertie du froid.
Pour ce faire, Elia utilise les réserves primaire, secondaire et tertiaire, c-à-d des capacités de production et de flexibilité prévues pour équilibrer le réseau. En Belgique, la réserve primaire représente 80 MW, dont 30 à 36 MW peuvent être activés par l’agrégateur Centrica, explique Thibault Quetel.
Quel est le rôle d’un agrégateur ?
Un agrégateur est un opérateur qui établit des contrats avec différentes usines, qui acceptent de réduire temporairement leur consommation d’électricité contre une rémunération. L’agrégateur vend ensuite ces MWh flexibles – on parle de centrale virtuelle et de gestion active de la demande – à Elia, qui peut ainsi équilibrer son réseau en cas de trop faible production d’électricité.
Parfois, l’agrégateur joue le rôle inverse : en cas de surproduction de renouvelables sur le réseau, il pourra demander à ses partenaires industriels de surconsommer à certains moments pour éviter un déséquilibre. Ce cas de figure s’est par exemple produit durant la période de confinement en Belgique.
A titre d’exemple, la centrale virtuelle de Centrica fait 2.500 MW, répartis entre différents pays et sites industriels dont plus de 200 sites situés en Belgique. L’agrégateur doit réunir un grand nombre de participants dans différents secteurs car, en cas d’indisponibilité d’un industriel (qui procède par exemple à une maintenance), il pourra activer d’autres partenaires.
Ce service d’équilibrage s’avère plus fiable et moins polluant qu’un recours à des centrales de pointe au gaz. En outre, cela permet d’intégrer une plus grande quantité de productions d’énergies renouvelables sur le réseau, ce qui est un objectif de la transition énergétique belge et européenne.
Coupler flexibilité et stockage
Parmi ce pool de flexibilité, certains investisseurs ou industriels ont investi dans des batteries, connectées au réseau Elia. Centrica a ainsi investi dans l’un des plus gros projets de stockage en Belgique : la centrale Terhills (Limbourg), qui réunit 140 batteries Tesla pour une puissance totale de 18 MW (lire notre article La Flandre s’équipe d’une centrale de stockage Tesla de 18 MW).
Ici, le stockage des productions renouvelables (notamment photovoltaïques) ne s’avère pas suffisamment rentable, d’où l’idée de valoriser aussi ces batteries dans un mécanisme de flexibilité au sein de la réserve primaire.
Centrica utilise ici une batterie pour absorber les petites déviations du réseau autour de 50 Hz (ce qui représente 80% des activations). Et, en cas de déviations plus grandes, l’agrégateur fait alors appel à des capacités de flexibilité comme décrit plus haut.
Pourquoi la batterie ne peut-elle pas assurer l’équilibrage du réseau à elle seule ? Tout simplement parce qu’elle devrait procéder à de grands cycles de charge et de décharge, ce qui en accélèrerait l’usure.
Ce couplage entre stockage et flexibilité permet un retour sur investissement de 6-7 ans, d’où un intérêt grandissant en Belgique pour investir dans des batteries de 5 à 50 MW au service de l’équilibrage du réseau et financées par les mécanismes de réserve primaire, et bientôt secondaire.
“Les projets de batteries sont désormais ancrés dans la réalité belge et ne sont plus des projets pilote ou d’innovation”, souligne Thibault Quetel en conclusion de ce webinaire.
Une perspective de croissance
Lors de la séance de questions-réponses, un participant s’interroge : à partir de quand les réserves stratégiques belges ne seront plus suffisantes pour pallier aux variations des productions renouvelables ?
“Pour l’instant”, répond l’orateur, “il y a de la marge, avec les réserves primaire (80 MW), secondaire (plusieurs centaines de MW) et tertiaire (850 MW). Mais au fur et à mesure que le renouvelable va continuer à pénétrer le réseau, il faudra augmenter ces réserves, ce qui ouvrira de nouvelles opportunités pour les industriels qui veulent rejoindre ces mécanismes.” D’autant plus que l’Europe prévoie une harmonisation des réserves nationales. Les agrégateurs pourront alors plus facilement vendre leurs services à différents pays.
Ce marché s’avère intéressant pour les clients industriels qui consomment au moins 3 GWh par an, estime Thibault Quetel.
Par contre, on ne trouve pas encore de modèle rentable pour les particuliers. Au niveau technologique, il serait possible de connecter des milliers de frigos ou de boilers électriques qui participeraient ainsi à l’équilibrage du réseau. Mais ce modèle ne trouve pas encore de développement commercial, constate-t-il.
Lire également notre interview de Donald Gilbert, Sourcing manager de REstore: « La flexibilité est un savoir-faire qui est appelé à se développer«
et notre interview de Olivier Devolder (N-SIDE) : Flexibilité : enjeu et mode d’emploi