Alors que les phénomènes climatiques (inondations, crues, feux de forêt...) se font de plus en plus violents, certaines populations du Sud global ont réussi à mettre en place des solutions résilientes et robustes.
Dans la première partie de notre thématique climatique consacrée au Sud global, nous avions présenté des solutions provenant des peuples autochtones pour faire face aux dérèglements climatiques. Solutions issues de savoirs-faire traditionnels. Cette fois, nous vous présentons des inventions ou initiatives plus modernes dont des pays du Sud global sont à l’origine.
Bien sûr, il s’agit d’exemples non exhaustifs mais très parlants. Certaines solutions sont le fruit d’experts ou nées d’initiatives citoyennes, d’autres ont été mises en place grâce au soutien d’ONG internationales dans le cadre d’un dialogue Nord-Sud, partant des besoins exprimés par les populations.
Au Bangladesh, Marina Tabassum, architecte, a imaginé des petites maisons en bambou et en tôle : les « Khudi Bari ». Elles ont été conçues pour aider les habitants à résister aux inondations géantes dans le pays. Lorsque le courant est fort, ils retirent les parois en tôle, aisément détachables. De cette façon, l’eau peut traverser les maisons sans obstacles. Quand l’eau est haute, les habitants montent au premier étage où ils peuvent stocker leur nourriture et leurs affaires, en attendant que le niveau rebaisse. En cas de crue violente, ces maisons peuvent facilement être déplacées vers des zones moins risquées. La solution respecte les principes du low tech : les matériaux utilisés sont durables et locaux, réparables et accessibles.
Au Botswana, une source d’énergie propre, durable et bon marché garantit le bien-être des communautés rurales et réduit la déforestation. Le pays est l’un des plus grands producteurs de bétail d’Afrique. Environ 2,5 millions de vaches, 300 000 caprins et 200 000 moutons se trouvent dans des zones rurales où l’accès à l’énergie est très compliqué. Les déchets générés par le bétail y sont utilisés pour produire du biogaz pour alimenter la cuisine et les éclairages. Grâce à un « digesteur », on peut fournir une énergie respectueuse de l’environnement pour produire de la chaleur et même produire de l’électricité à plus grande échelle, tout en réduisant la pollution du sol et de l’eau. Ces digesteurs ont été promus par le PNUD, l’agence de l’ONU dédiée au développement. Un tel projet a des répercussions bien plus larges qu’on ne le pense : il fournit une énergie bon marché et facilement accessible en zone rurale tout en évitant la déforestation. Souvent causée par l’abattage d’arbres pour les transformer en bois de chauffage, elle contribue à l’érosion des sols et à la perte de biodiversité. La recherche du bois était également une lourde et dangereuse tâche principalement dévolue aux femmes et aux enfants. La fumée engendrée par la cuisson, dans des espaces confinés, a un impact négatif sur la santé et peut causer des incendies. La cuisson, l’éclairage et le chauffage au biogaz sont beaucoup plus sûrs car la faible pression du digesteur évite le risque de fuite et de combustion incontrôlée.
Au Sénégal, dans le delta du fleuve Sine Saloum, un grand projet a permis de planter des milliers de palétuviers et recréer ainsi une barrière naturelle contre les grandes marées et les tempêtes. La mangrove de palétuviers constitue un maillon essentiel de l’écosystème local : en assurant la reproduction des écosystèmes de poissons et de crustacés, elle est indispensable à la subsistance des communautés de pêcheurs. Or, avec le changement climatique, le niveau de la mer monte, les pluies se font plus rares et les réserves d’eau douce diminuent. Cette salinisation de l’eau pourrait être fatale aux palétuviers.
Au Cameroun, le Low-Tech Lab Yaoundé est un laboratoire qui se concentre sur le développement et la création de technologies simples, accessibles et durables. Le tout répondant aux besoins locaux pour favoriser un mode de vie respectueux de l’environnement. En utilisant des matériaux locaux et des connaissances traditionnelles, ils travaillent sur l’énergie renouvelable, l’agriculture urbaine et la gestion des déchets. Ils produisent, par exemple, de l’électricité grâce à des déchets recyclés de l’industrie solaire.
Une initiative semblable existe au Togo : l’Ecoteclab. Cette association aide les personnes à construire leurs propres outils avec des matériaux de récupération : des girouettes pour faire des relevés météo afin de prévoir avec plus de certitude le temps qu’il fera, des séchoirs solaires pour conserver les piments, légumes feuilles et mangues sans dégrader la couleur et la valeur nutritive, un compteur à eau pour borne fontaine qui fournit dans les quartiers l’eau aux familles, un bio-digesteur, etc. Le projet se veut participatif et créatif : « Nous choisissons une réalisation puis nous regardons les outils et les matériaux dont nous disposons et imaginons ensemble comment la fabriquer. », précise Ousia Foli Bebe, un des animateurs du projet.
Ecoteclab forme les jeunes Togolais à entretenir leurs outils de travail : « Lorsqu’une machine est importée, elle marche un moment, puis est abandonnée à la première panne, car personne ne sait comment la réparer. Ici nous fabriquons nous-même nos machines avec leurs futurs utilisateurs. Il est sûr qu’elles seront entretenues avec soin pendant de longues années. »
Au Kenya, Joan est une pionnière de la boulangerie solaire low-tech. Son four « Lytefire 5 » se compose d’une cinquantaine de miroirs qui concentrent les rayons du soleil sur le four. Il a été conçu sur place par Social Fire, une entreprise sociale finlandaise. Lancée en mars 2022, la petite société de Joan ne connaît pas la crise. Elle démontre que la low-tech peut être un vecteur de création d’emplois locaux et durables.
En Afrique du Sud, près de Durban, la communauté eKhenana est un modèle d’autonomie démocratique, populaire et écologique. C’est en 2018 qu’un groupe a décidé d’occuper des terrains municipaux abandonnés pour y tester de nouveaux modes de vie. Alors que l’Afrique du Sud subit des coupures intermittentes d’électricité, la communauté a un accès fiable à l’énergie solaire, ce qui permet de faire bouillir de l’eau, de charger les téléphones et d’avoir un éclairage. Grâce à leur potager et à leurs coopératives agricoles, qui visent à assurer leur souveraineté alimentaire, les habitants se nourrissent de produits frais locaux, bon marché et nutritifs.
En République dominicaine, des femmes luttent pour l’agro-écologie et pour la préservation de leur environnement. Cette île des Caraïbes souffre de plus en plus des effets des changements climatiques : les cyclones sont plus violents et plus fréquents, le rythme des pluies est de plus en plus perturbé. À cela s’ajoutent les pratiques de l’agrobusiness, notamment les grandes exploitations de canne à sucre et les mines d’or qui menacent les forêts et polluent les sols et les rivières. Mais les organisations paysannes ne s’avouent pas vaincues. Des coopératives comme la CONAMUCA encouragent les femmes à se former à l’agroécologie et à la gestion. L’organisation veut aussi sauver des pratiques ancestrales comme le « conuco » (pratique agricole communautaire ou familiale basée sur la polyculture destinée à l’autoconsommation ou à l’échange) ou les « parcelas » (portions de terrain consacrées à la production collective de produits biologiques). Petit à petit, dans ce pays très machiste, les femmes ont réussi à imposer à leurs maris le fait qu’elles puissent développer des projets et participer à la prise de décision. La société civile s’est mobilisée contre un projet du Parlement qui voulait imposer l’utilisation de semences industrielles et transgéniques.
Conclusion
Tous ces exemples montrent à quel point il est important de favoriser les dialogues, les échanges de bonnes pratiques entre pays du Sud global et le reste du monde. Car les dérèglements climatiques se fichent des frontières. Ensemble, l’humanité sera plus forte pour trouver plus de solutions adaptables aux différents contextes locaux. Bien entendu, il existe déjà nombre de projets de coopération au développement mais ils se limitent souvent à de l’aide venant des pays riches vers les pays pauvres.
Or, à travers les exemples cités, nous pouvons comprendre que les idées devraient également circuler dans le sens inverse, de la part des pays qui ont déjà une grande expérience en matière d’adaptation et de résilience vers ceux qui en ont beaucoup moins.