Les batteries domestiques ont du succès et de plus en plus d’installateurs proposent une offre comprenant l’installation photovoltaïque et celle d’une batterie. Cependant est-ce rentable ?
C’est la Flandre qui a initié cette tendance à la hausse en 2019, en offrant une prime à l’achat d’une batterie domestique pour les particuliers. Bien que celle-ci ait pris fin en avril 2023, et qu’aucune autre n’existe en Belgique, on constate un certain engouement pour cette technologie.
Suite à la crise énergétique, les batteries ont connu un regain d’intérêt économique, appuyé par la forte diminution des prix des batteries au lithium. Un prix qui, pour la batterie seule (sans frais d’installation), a été divisé par 3 entre 2015 et 2023. En Wallonie, l’arrêt du compteur « qui tourne à l’envers » pour les nouvelles installations incite de nombreux concitoyens à voir la batterie comme la solution miracle pour valoriser l’autoproduction excédentaire et éviter les décrochages d’onduleur dûs aux surtensions locales lors de pics de production.
Un raisonnement qui tient la route à première vue, mais qu’en est-il vraiment ? Energie Commune a étudié l’intérêt économique des batteries domestiques et a identifié 3 grandes erreurs qui expliquent la confusion sur ce sujet.
Méthodologie
Nous avons réalisé une modélisation d’une installation PV couplée à une batterie domestique où nous simulons, pour chaque quart d’heure de l’année, la production des panneaux PV, la consommation du ménage, l’autoconsommation instantanée réalisée, l’électricité chargée (et déchargée) par la batterie, les pertes liées au fonctionnement de la batterie et l’injection résiduelle.
Nous nous sommes inspirés d’une publication scientifique de l’ULB de 2016 et l’avons adapté et mis à jour les paramètres. Diverses simulations ont ensuite été réalisées pour représenter différentes configurations de consommation annuelle, de production PV et de capacité de la batterie.
Nous avons ensuite analysé différents indicateurs économiques, dont les économies réalisées par le système entier, mais aussi en différenciant les économies attribuées aux panneaux de celles attribuées à la batterie.
Principe économique
Les économies du stockage domestique proviennent de l’électricité excédentaire, non consommée donc, appelée « injection ». La batterie se charge lorsqu’elle détecte une injection et se décharge pour réduire le prélèvement du réseau lorsqu’elle dispose d’un stock d’électricité.
Fin 2023, le prix de prélèvement était autour de 35 c€/kWh (tout compris), et le prix d’injection autour de 5 c€/kWh. Le stockage électrique valorise donc un surplus de production en évitant d’injecter un kWh de faible valeur pour éviter de prélever plus tard un kWh de plus grande valeur.
Tout d’abord, il est important de remarquer que l’électricité stockée ne permet pas une économie de 35 c€/kWh, mais bien une économie effective égale à la différence entre le prix de prélèvement et le prix d’injection, puisque sans batterie, cette électricité aurait été revendue au prix d’injection. C’est la première erreur de calcul à ne pas faire.
N’oublions pas que la batterie génère des pertes lors de son fonctionnement, et qu’elle ne pourra donc pas restituer la totalité de l’électricité stockée. On distingue trois grands types de pertes : les électro-chimiques (charge/décharge), celles de l’onduleur de la batterie et celles liées au maintien de le température interne par l’EMS de la batterie.
Le rendement dit global tient compte de celles-ci. Elles sont généralement d’environ 20-25%, mais peuvent parfois atteindre 30%.
C’est la deuxième erreur courante : la sous-estimation des pertes de la batterie. Souvent ignorées ou réduites aux seules pertes électro-chimiques (~5%) indiquées sur la fiche technique, ces pertes ont pourtant un impact important sur les économies.
En combinant les deux effets, les économies effectives liées à la batterie sont égales à :
Gain effectif = (Volume déchargé x prix de prélèvement) – (Volume chargé x prix d’injection)
Exemple pour 1000 kWh chargés dans une batterie
1) Calcul erroné : On considère 5% de pertes et un gain égal au prix de prélèvement :
Gain = 950 kWh x 0,35 €/kWh = 332,5 €
2) Calcul réaliste : On considère 20% de pertes et un gain d’opportunité :
Gain effectif = (800 kWh x 0,35 €/kWh) – (1000 kWh x 0,05 €/kWh)
Gain effectif = 280 € – 50€ = 230 €
Le gain effectif est donc environ 30% en-dessous du gain obtenu avec un calcul simpliste.
Dimensionnement de la batterie domestique
Le dimensionnement optimal de la capacité de batterie résulte d’un équilibre entre deux tendances :
- Augmenter la capacité pour stocker plus d’électricité photovoltaïque lors des périodes de forte production
- Réduire la capacité qui est superflue lors :
- Des périodes de faible production (hiver ou faible ensoleillement)
- Des périodes où la production couvre une large part de la consommation, la batterie se décharge peu en soirée/nuit, et ne peut donc pas charger beaucoup la journée suivante (longues journées d’été)
Pour un profil résidentiel standard, la capacité optimale de la batterie dépend de la consommation et de la production photovoltaïque annuelles. Pour un ménage ayant une consommation annuelle de 3000 kWh et une production annuelle de 3000 kWh, une capacité de batterie de 3 kWh sera optimale.
Cependant, un dimensionnement optimal ne veut pas nécessairement dire qu’il est viable, comme en témoigne l’exemple des batteries domestiques.
Résultats
Après avoir réalisé des simulations avec plusieurs configurations différentes, le résultat est toujours le même : lorsqu’on considère l’installation dans son ensemble (PV & batterie), les indicateurs économiques sont positifs. En revanche, dès que l’on différencie les deux technologies, les batteries ne sont pas rentables, et leur temps de retour sur investissement dépasse leur durée de vie (15 ans).
Exemple de configuration
Consommation annuelle : 3000 kWh / an | Production PV associée : 3000 kWh / an |
Puissance PV installée : 3 kWc | Capacité de batterie : 3 kWh |
Le graphe ci-dessous montre la répartition de l’électricité produite. À gauche, le scénario avec installation PV, où le ménage a autoconsommé un peu plus d’un tiers de l’électricité produite. À droite, le scénario avec PV et batterie domestique montre que sur les 1964 kWh d’injection, 815 kWh (27% de la production totale) ont été stockés dans la batterie. De ces 815 kWh, 652 kWh (en bleu) ont été utilisés par le ménage, tandis que 164 kWh (en rouge) ont été perdus.
Le graphe ci-dessous montre les gains des deux scénarios. Sans batterie (à gauche), 34% d’autoconsommation génèrent 80% des économies, tandis que les 66% d’injection n’en rapportent que 20%. Avec batterie (à droite), les gains d’autoconsommation restent constants. D’une part, les 652 kWh déchargés par la batterie ajoutent 228€, mais d’autre part, la vente de l’injection a diminué de 41€. Le gain net de la batterie est donc de 187€, soit environ la moitié des revenus de l’autoconsommation simultanée (363€).
Nous sommes passés de 461€ à 648€, soit une hausse de 41% grâce au stockage. Mais ces gains justifient-ils un investissement de 4200€ pour une batterie (capacité de 3 kWh) ? Le retour sur investissement, sans tenir compte de l’inflation, est de 22 ans, bien au-delà de la durée de vie de la batterie de 15 ans. Elle ne permet donc pas de récupérer le montant de l’investissement.
Pour comparaison, l’installation PV considérée dans cette configuration est de 4100€, presque autant que la batterie, mais génère deux fois plus de revenus annuels pour une durée de vie, deux fois plus longue, de 30 ans, avec un retour sur investissement de 10 ans.
Combinés, les panneaux PV et la batterie ont un retour sur investissement de 14 ans. Un biais malheureusement trop souvent présent dans les devis d’installateurs, masquant la différence de rentabilité entre ces deux technologies. C’est la troisième erreur qui est parfois faite au sujet des batteries.
L’engouement suscité par la batterie domestique apparaît donc comme peu rationnel au regard des 3 erreurs communément faites et que nous vous avons exposé.
Un autre aspect à prendre en compte est l’arrivée des véhicules électriques bidirectionnels (« Vehicle-to-Grid » ou « V2G ») sur le marché, qui seront capables de délivrer de l’électricité au bâtiment auquel il est connecté (ménage ou entreprise) mais aussi aux réseaux de transport et de distribution. De ce fait, les véhicules électriques ne fourniront pas uniquement des services de mobilité, mais aussi des services de stockage électrique et d’équilibrage qui vont être de plus en plus nécessaires pour une bonne gestion des réseaux dans le cadre de la transition énergétique. Le V2G permet donc une meilleure utilisation des batteries, en combinant ces deux usages. Bien sûr, il faut que le véhicule soit à la maison pour qu’il puisse charger l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques, mais il pourra néanmoins fournir des services de flexibilité au réseau lorsqu’il sera connecté à une borne sur son lieu de travail. Cependant, la batterie stationnaire ne serait nécessaire que lorsque le véhicule est en déplacement, réduisant son intérêt déjà très faible au regard de l’analyse économique présentée ci-dessus.
Cette technologie est déjà commercialisée mais reste marginale car son développement à grande échelle requiert l’harmonisation des protocoles de communication entre les différents appareils et les acteurs impliqués. De plus en plus de constructeurs automobiles ont commercialisé des modèles dotés de cette fonctionnalité, qui ne va probablement pas tarder à se propager et devenir la norme.
Conclusion
Cet article se limite à l’aspect financier de l’installation d’une batterie domestique, mais il va sans dire que l’extraction des matériaux, la fabrication et la fin de vie des batteries comportent des impacts environnementaux comme nous avons déjà pu l’aborder dans notre série sur les matériaux de la transition énergétique. Une chose nous parait donc évidente : il est essentiel que les batteries soient destinées à des utilisations dont les bénéfices sociétaux compensent leur empreinte environnementale. La façon dont ces batteries sont pilotées, en suivant une stratégie individualiste ou collective, joue un rôle déterminant dans leur intérêt pour la société.