Transition écologique : culture du risque, diversité et agilité des politiques

Depuis la pandémie de COVID-19, les inondations de 2021, et la crise énergétique engendrée par la guerre en Ukraine, on entend partout parler de résilience. Chacun semble s’approprier ce terme et l’adapter à sa manière. Mais qu’est-ce qu’il signifie vraiment ?

Pour tenter d’y voir plus clair, Renouvelle s’intéresse dans une série d’articles au concept de résilience sociale-écologique en illustrant concrètement l’application de quelques-uns de ses principes. L’article précédent de notre série sur les principes de résilience se clôturait sur la question suivante : quelle attitude adopter face à l’imprévisibilité et à l’incertitude ? Nous tentons d’y répondre dans cet article.

Face à l’incertitude, oser expérimenter la diversité

La durabilité dans le temps des écosystèmes naturels est possible grâce à leur capacité à continuellement s’adapter à un environnement en constante évolution. C’est leur diversité et leur complexité qui leur donne cette capacité… cette robustesse. La richesse des relations entre les êtres qui les composent et l’équilibre entre boucles de rétroaction positives et négatives au sein des interactions entre ces êtres, fruits d’une multitude d’essais et erreurs intervenus tout au long de l’évolution, permettent l’émergence de réponses adaptées aux évolutions du contexte, pouvant aller jusqu’à une transformation profonde de l’écosystème dans son ensemble. Par exemple, une prairie composée d’un nombre important d’espèces végétales, chacune ayant besoin de conditions climatiques spécifiques pour se développer de manière optimale et attirant différents types d’espèces animales (pollinisateurs, etc.), aura plus de chances de produire chaque année une quantité stable de biomasse malgré des variations climatiques importantes, le développement renforcé de certaines espèces lors d’une année sèche et chaude compensant la baisse de production d’autres espèces ayant besoin de plus d’eau et étant plus sensibles aux fortes chaleurs. Et la bonne santé de ces espèces lors de l’année chaude et sèche créera les conditions qui permettront la survie des autres espèces et leur capacité à s’épanouir ensuite lorsque les conditions climatiques leurs seront plus bénéfiques.

Pour s’inscrire dans la durabilité alors qu’elles ont déjà provoqué des transformations brutales et profondes des équilibres naturels, les sociétés humaines n’ont d’autre choix que de s’inspirer du vivant pour transformer les relations économiques et sociales en leur sein ainsi que leurs relations aux écosystèmes pour tendre vers un nouvel état d’équilibre dynamique.

Un territoire qui désire opérer une telle transformation doit donc donner l’opportunité à ses acteurs d’expérimenter une diversité d’innovations techniques et sociétales pour identifier ce qui fonctionne et ne fonctionne pas et progressivement construire un réseau robuste d’interactions leur permettant de se renforcer mutuellement. A travers des appels à projets, des budgets participatifs ou le soutien à la mise en place de lieux d’expérimentation et d’échange comme les tiers-lieux, les élus locaux et leurs administrations peuvent créer un cadre propice à une telle dynamique.

Face à l’imprévisibilité, développer notre culture du risque

Comme nous l’avons déjà vu, il est impossible de modéliser le système Terre ou les sociétés humaines dans toute leur complexité. S’il est certain que le climat global de la Terre va continuer à se réchauffer, il est donc impossible de prévoir avec précision l’ampleur des aléas climatiques que subiront nos territoires et surtout quand ils surviendront. Tout au plus est-il possible de dresser des scénarios potentiels. De même, il est impossible de prévoir quelles seront les réactions sociales, économiques et politiques à ces phénomènes. Et il en va de même pour tous les risques auxquels sont soumis nos sociétés. Quelle sera la prochaine nouvelle guerre et quels seront ses impacts locaux ? Quand la prochaine bulle financière va-t-elle éclater et quelle sera l’ampleur de la déflagration ? Comment la montée de la défiance des citoyens envers les élites va-t-elle se traduire dans les urnes lors des élections de 2024 ? Autant de question auxquelles il est impossible de répondre avec certitude.   

Le mieux que nous puissions faire est de tenter d’identifier les principaux risques, d’œuvrer à notre mesure pour les réduire et de se préparer à affronter des aléas importants. Pour nous y aider, nous pouvons, par exemple, nous inspirer des travaux du Forum Economique Mondial qui publie chaque année son « Rapport sur les risques globaux ». L’objectif de ce rapport est précisément d’identifier les principaux risques auxquels sont soumises les sociétés humaines (et donc le business) à travers le monde et la prégnance générale de chacun d’entre eux. Pour ce faire, à défaut d’une modélisation, le rapport se base sur une enquête menée auprès de 12.000 chefs d’entreprises dans 121 économies à travers le monde. Le résultat se traduit par la carte ci-dessous.

Carte des risques globaux et de leurs interconnexions – Source : Global Risks Report 2023 (WEF)

Une caractéristique importante des résultats produits dans les rapports publiés chaque année par la Forum Economique Mondial est leur volatilité au gré de l’évolution de la perception des sondés.  

Pour évaluer l’importance des différents risques pour une commune ou un territoire de plusieurs communes, ce sont donc moins les résultats présentés dans ces rapports que la méthodologie proposée pour les obtenir dont nous pouvons nous inspirer. Il s’agit en effet de croiser l’expertise scientifique et les données froides permettant de décrire un territoire avec la perception que les acteurs du territoire ont de ce dernier et des risques auxquels il est soumis. C’est notamment ce que propose la démarche Homeos développée par l’Institut Eco-Conseil, Espace Environnement et Energie Commune dans le cadre d’un projet soutenu par la Wallonie.

Une telle démarche permet d’identifier et formuler les principaux enjeux du territoire en prenant en compte les risques. Ainsi, on formulera ces enjeux sous formes de questions du type « Comment garantir ceci aux citoyens sachant que tel risque est important ? ».

Exemples :

  • Comment garantir l’accès à tous à une énergie durable en quantité et à un prix juste dans un contexte de raréfaction des combustibles fossiles et de fluctuation importante des prix de l’énergie sur le marché ? 
  • Comment garantir à tous l’accès à une alimentation saine, sachant que des ruptures de chaînes d’approvisionnement sont très probables à moyen terme et que les impacts du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité affectent déjà le rendement des cultures ?  

Répondre aux urgences tout en transformant durablement le territoire

Une fois ces enjeux formulés, quelles politiques mettre en place pour y répondre ? Etant donné que de nombreux aléas sont susceptibles d’intervenir de manière brutale à tout moment, il s’agit d’abord de se préparer, au mieux, aux aléas les plus probables en les intégrant dans les politiques de planification d’urgence et en associant un maximum la population à l’élaboration et à la mise en œuvre de ces dernières. Le site de l’association belge des planificateurs d’urgence regorge de ressources pour aborder ces questions de manière systémique (https://planu.be/index.php). En France, l’association SOS Maires propose également une classification des risques majeurs et de réponses possibles (https://sosmaires.org/).

Mais l’importance de préparer les acteurs locaux à la gestion des urgences ne doit pas occulter celle de transformer profondément le territoire afin de l’adapter à l’évolution des conditions environnementales et sociétales, et de le rendre plus robuste face aux risques. Par exemple, la mise en place de politiques visant à prévenir les risques climatiques s’appelle l’adaptation… Ces risques sont désormais certainement ceux pour lesquels les territoires wallons disposent des outils les plus nombreux. La démarche « Adapte ta commune », proposée par l’Agence wallonne de l’Air et du Climat (AwAC), permet d’évaluer les effets du changement climatique, et d’identifier les principales vulnérabilités du territoire communal et les mesures d’adaptation les plus adéquates. L’Institut de Conseil en Développement Durable (ICEDD) propose également une visualisation narrative de ces vulnérabilité et mesures d’adaptation.  

Rendre les politiques les plus agiles possible

Les méthodes prospectives les plus répandues consistent à partir d’un diagnostic de départ pour identifier les enjeux, fixer des objectifs à court, moyen et long terme, et imaginer les actions qui permettront d’atteindre ces objectifs. Nous avons vu ci-dessus que la résilience d’un territoire relève en partie de l’anticipation des perturbations qui peuvent l’affecter. Cette vision prospective permet de comprendre les changements majeurs à venir, afin d’avoir la capacité de décider de la trajectoire optimale à adopter, et in fine, de traverser au mieux les périodes de turbulences.

Mais face à la complexité et à l’incertitude, il semble peu réaliste de définir des stratégies de développement linéaires pilotées de manière descendante puisqu’on ne sait pas vraiment de quelle nature seront les perturbations les plus virulentes.

Ainsi, faute de pouvoir prévoir avec certitude ce qui pourrait advenir, il s’agit de se préparer à toute éventualité, conscient de cette vulnérabilité. Et pour développer notre capacité collective d’agir, de nous adapter, et de transformer nos modes de fonctionnement, il est nécessaire de mettre en place des cadres de gouvernance plus horizontaux, au sein desquels une grande diversité d’acteurs a fréquemment l’opportunité d’alerter le collectif sur l’imminence de perturbations et d’expérimenter diverses réponses à ces dernières. On parle alors de stratégies « chemin faisant » ou « pas à pas » pour caractériser à la fois leur réactivité et la construction progressive des réponses les plus adaptées au gré des essais et erreurs. Cela peut se traduire par la mise en place d’observatoires et de veilles citoyennes et la création d’espaces de rencontre et d’échanges pour les forces vives d’un territoire comme, par exemple, le Conseil de Développement en Wallonie Picarde.